On a beau chercher sur la planète, on ne trouve guère de système d'enquête sur la police qui suscite des ovations.

Le Québec est loin d'être le pire exemple en Amérique du Nord, plusieurs juridictions n'ayant même pas l'équivalent du commissaire à la déontologie policière.

Ce n'est pas une raison pour ne pas constater les problèmes qui minent la crédibilité du système québécois quand vient le temps d'enquêter sur les cas les plus graves.

C'est-à-dire les cas de mort ou de blessure grave de citoyens causées par une intervention policière.

L'actuel système n'est pas assez indépendant. Il n'est pas assez contraignant pour les policiers. Il ne donne pas assez d'information au public. Il manque d'équilibre.

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En 2010, dans un rapport bien fait, le Protecteur du citoyen recommandait la création d'une police des polices, appelée «Bureau des enquêtes spéciales», largement inspirée du modèle ontarien.

Il suggérait que des civils bien formés soient impliqués dans les enquêtes, et non seulement comme surveillants des policiers.

Il recommandait également une transition, étant bien conscient qu'on ne crée pas un tel organisme du jour au lendemain, et que l'expertise des policiers dans les enquêtes d'homicides ne se donne pas en comprimés. Il envisageait une structure plus petite que celle de la province voisine, qui coûte 8 millionsannuellement.

C'est une bonne idée.

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L'Ontario a une «Unité des enquêtes spéciales» depuis 22 ans, qui agit en complète indépendance des corps policiers, avec son personnel et ses laboratoires.

Au Québec, dans les 12 dernières années, 339 enquêtes sur des interventions policières ayant causé la mort ou des blessures graves n'ont donné lieu qu'à trois accusations criminelles.

L'UES ontarienne, de son côté, a fait accuser au criminel 10 fois plus de policiers.

Mais cette statistique est trompeuse: l'UES enquête sur beaucoup plus de sujets: les accidents de voiture, les agressions sexuelles et d'autres infractions commises par des policiers. Quand on isole les morts ou blessures graves causées par arme à feu, les chiffres sont très comparables entre le Québec et l'Ontario.

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Un autre organisme souvent cité en exemple est la Commission indépendante des plaintes concernant la police (IPCC), d'Angleterre. Créée en 2004, elle est totalement indépendante et décide si elle fera enquête elle-même ou si elle accompagnera une enquête sur une intervention policière.

L'IPCC a une grande vertu: quelle que soit l'issue de l'enquête, elle publie systématiquement un rapport qui résume les faits et ses conclusions dans les dossiers majeurs. Les rapports sont clairs, précis et brefs (6 à 10 pages).

Mais en Ontario comme en Angleterre, les critiques demeurent: les policiers s'en tirent trop facilement, dit-on, et on remet en question l'indépendance véritable de l'organisme.

Plus de 400 citoyens britanniques sont morts dans les opérations policières en Angleterre et dans le Pays de Galles dans les années 2000, mais aucun policier n'a été déclaré coupable de quoi que ce soit. Les victimes sont souvent des membres des minorités et des personnes souffrant de troubles mentaux, comme ici. Et comme ici, l'IPCC est constamment la cible des critiques de la police.

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Il ne faut donc pas se faire trop d'illusion sur les éventuels «résultats» chiffrés d'un nouveau système d'enquête.

Les policiers agissent dans des conditions d'urgence, ils ont le droit et le devoir d'utiliser la force en certaines circonstances, ils sont bien défendus, le public leur est sympathique... Pour toutes ces raisons, les condamnations demeureront l'exception... rare.

Dans un système d'enquête idéal, il n'y aurait pas une avalanche d'accusations. Il y aurait des conclusions claires et crédibles qui nous convainquent.

On ne peut pas se contenter d'évaluer un système par le nombre de condamnations qu'il génère.

Mais ce n'est pas une raison pour laisser le système en l'état.

Comme l'a dit l'avocat (et auteur de deux rapports sur le sujet) Jacques Bellemare en... 1988, le problème n'est pas tant la qualité des enquêtes. C'est leur crédibilité.

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En ce moment, elles ne sont pas crédibles. Les correctifs proposés par le ministre Robert Dutil dans le projet de loi 46 sont trop timides. Ce «bureau civil de surveillance» ne changera rien au système. Il n'a aucun pouvoir de contrôle, ni de diffusion de l'information. Ses observateurs seront sans pouvoir.

Le Barreau, la Ville de Montréal, la Commission des droits, le Protecteur du citoyen et divers rapports le demandent: il faut un nouveau processus indépendant.

Des enquêteurs ne faisant que cela. Qui ne soient pas tous d'anciens policiers - l'expertise d'enquête se retrouve dans bien des professions. Qui soient dirigés par un civil (comme le suggère le ministre pour son bureau).

Il faut obliger les policiers visés par une enquête ou témoins d'un événement à fournir des renseignements et collaborer à l'enquête dans un délai rapide.

Il faut obliger la publication d'un condensé des rapports d'enquête, qu'il y ait ou non accusation.

Bref, il faut une vraie police des polices. On n'a plus les moyens de s'en passer.