Un animateur de radio particulièrement sagace s'en prenait l'autre jour à Facebook, complice et accélérateur de l'intimidation scolaire d'après lui.

Peut-être faudrait-il également bannir le téléphone pour mettre fin aux menaces?

Ce n'est pas un grand adepte des réseaux sociaux qui vous parle ici. J'ai un compte Facebook où poireautent deux «amis», dont l'un est notre rédacteur en chef qui avait suggéré aux journalistes de s'ouvrir un compte.

J'ai oublié mon mot de passe depuis. Et tandis que l'homme moyen voit son nombre d'amis progresser de manière vertigineuse depuis Facebook, moi j'ai l'impression d'en perdre à force de ne pas répondre aux demandes d'amitié.

Je suis néanmoins convaincu, quoi qu'on dise de la qualité des échanges, que les réseaux sociaux créent plus de civilisation que de destruction.

Ils ne créent pas l'intimidation, en tout cas. Ils sont une loupe qui nous la montre en plus gros.

Les réseaux sociaux ne contribuent pas au suicide. Ils peuvent même sauver des vies. On y trouve des appels à l'aide, des deuils partagés, des réflexions, des ressources pour aider.

On y trouve ce que les gens y mettent, et tout ça circule là-dessus plus vite que l'information et l'émotion n'ont jamais circulé entre les humains.

Si l'on compare les échanges sur Facebook à la Nouvelle revue française, évidemment, on aura comme un sens de perte littéraire, j'imagine.

Mais si l'on avait enregistré toutes les conversations de cours d'école, téléphoniques ou de corridor tenues au XXe siècle par les pourfendeurs des réseaux sociaux, serait-on tellement plus impressionné?

La nouveauté de l'affaire, c'est que ces réseaux laissent des traces publiques de la légèreté, de l'insignifiance et parfois de la bêtise de nos échanges.

Facebook archive l'incivilité et la dureté ordinaires des rapports humains. Il ne les a pas inventés.

Facebook existe depuis 2004 et il n'y a pas beaucoup d'adolescents qui n'y sont pas.

Si c'était une calamité mortelle, on n'aurait pas vu, depuis, le taux de suicide au Québec chuter d'aussi spectaculaire manière.

Année après année, le taux de suicide au Québec diminue. Il est passé de 22 par 100 000 habitants en 1999 à 13,5.

La baisse la plus importante est observée chez les adolescents. Le taux de suicide a diminué de plus de la moitié depuis 10 ans chez les adolescents québécois.

Il y a eu 80 suicides chez les 15-19 ans en 2000 contre 37 en 2009.

Pendant la même période, le nombre des 15-19 ans a pourtant augmenté de 40 000 (pour atteindre 505 000).

Le taux de morts par suicide chez les 15-19 ans est passé en 10 ans de 16 à 7,3 par 100 000 habitants.

Cette baisse remarquable est parallèle à l'explosion des réseaux sociaux.

Qu'est-ce que ça veut dire?

Ça veut dire qu'il faut arrêter de propager des idées fausses sur leur impact. Des idées aussi ridicules que celles qu'on propageait il y a 30 ou 40 ans sur les dangers du rock'n'roll ou des dessins animés violents.

Je n'essaie pas ici de dénoncer une quelconque exagération médiatique autour du suicide de Marjorie Raymond.

Je trouve qu'il faut exagérer la gravité de la mort d'un enfant. C'est un signe de santé sociale que d'en faire toute une histoire. Une façon de deuil collectif où tout un chacun se reconnaît un peu et s'inquiète aussi.

Il faut simplement essayer de ne pas tout mêler dans les causes et les conséquences, ce qui est difficile j'en conviens au milieu du tumulte des émotions collectives.

Ce que ces statistiques illustrent, c'est que devant un phénomène aussi complexe et troublant que le suicide, une société n'est pas sans ressources. Il y a des choses à faire et ça fonctionne parfois.

Non, les gens n'ont pas oublié, les écoles n'ont pas laissé faire. C'est le contraire.

Qu'a-t-on fait depuis 10 ans au Québec? Des campagnes de sensibilisation, d'information, de mobilisation contre le suicide, l'intimidation. On a mis sur pied de l'aide, des lignes d'urgence, du soutien, on en a parlé davantage.

Suicide action Montréal: 514-723-4000 ou 1-866-appelle. Jeunesse j'écoute: 1 800 668-6868. Tel jeunes: 1-800-263-2266.

Ce n'est donc peut-être pas totalement par hasard, alors, si moins de jeunes s'enlèvent la vie au Québec d'aujourd'hui.

C'est peut-être parce que des gens ont trouvé quelques moyens de leur dire qu'ils tenaient à eux.

Ça ne rend aucun drame moins douloureux. Ça ne nous satisfait pas du présent. Ça ne garantit rien pour l'avenir.

Ça nous montre du moins qu'il y a quelque chose à faire.

Et ce n'est surtout pas de diaboliser les lieux d'échange adoptés passionnément par les adolescents.

Pour joindre notre croniqueur: yves.boisvert@lapresse.ca