Faudra-t-il une loi chaque fois qu'un chien ira pisser sur le monument au soldat inconnu?

Ce projet de loi pour garantir le droit de hisser le drapeau canadien est un exemple parfait de l'approche législative des conservateurs: créer un nouveau crime pour régler un problème qui n'existe pas.

Et bien sûr, se poser en champion du patriotisme canadien.

A-t-on signalé des bagarres au sujet du drapeau récemment? A-t-on vu des gens empêchés de sortir leur feuille d'érable?

Le seul cas répertorié remonte à 2009, quand deux anciens combattants s'étaient fait dire d'enlever le drapeau canadien de leur balcon.

Les immeubles à logements et les condos interdisent généralement l'affichage. Tout affichage.

Une loi qui ne garantirait que l'affichage du drapeau canadien ne créerait-elle pas une exception discriminatoire?

Et le drapeau de Terre-Neuve dans tout ça?

Les gens qui interdiraient de hisser le drapeau pourraient faire l'objet d'une injonction, avec amende et emprisonnement (deux ans maximum) à la clé.

Ce ne serait qu'un autre projet de loi présenté par un député conservateur -chacun a sa marotte. Mais il est maintenant soutenu par le gouvernement.

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Remarquez, la fixation sur les drapeaux n'est pas proprement canadienne.

La France, qui a inscrit dans sa constitution le drapeau tricolore, multiplie les lois depuis 10 ans pour protéger l'emblème national.

Lors d'un match de soccer France-Algérie en 2001, puis d'un autre en Corse, La Marseillaise avait été huée et des drapeaux brûlés.

L'émoi patriotique a mené à l'adoption d'une loi pénale interdisant «l'outrage» au drapeau. On prévoyait une amende maximale de 7500 euros et si la chose était faite en groupe, une peine de prison de six mois.

On prévoyait une exception pour les oeuvres artistiques.

Mais voilà qu'à Nice, on organise une exposition de photos intitulée «politiquement incorrect». Un photographe envoie la photo d'un jeune homme qui semble s'essuyer les fesses avec le drapeau.

Oh!

Nouvelle loi en 2010: on ne fait plus d'exception artistique!

Toutes ces lois n'ont rien changé et par défi, on continue à huer l'hymne national de temps en temps, étant entendu qu'on ne peut pas arrêter des sections entières d'un stade de foot...

«La sacralisation» du drapeau tricolore «ne cesse de s'intensifier, signe sans doute d'une crispation identitaire à l'heure de l'ouverture des frontières», opine la juriste française Élodie Derdaele.

On n'a pas là-bas protégé le droit de pavoiser. Les Français ne sont pas particulièrement portés sur le hissage domestique de drapeau.

Par contre, un maire qui refuse de hisser le drapeau le jour de la fête nationale peut se voir suspendu pour 30 jours...

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Il n'y a pas au Canada, comme aux États-Unis, de crime d'outrage au drapeau.

Quand des manifestants contre la guerre du Vietnam avaient fait brûler le drapeau américain, le gouvernement fédéral avait créé un tel crime, imité rapidement par 48 des 50 États. Mais en 1989, la Cour suprême a déclaré ces lois inconstitutionnelles, parce que contraires à la liberté d'expression.

Une nouvelle loi a été adoptée par le Congrès... et déclarée inconstitutionnelle en 1990.

Depuis, des parlementaires tentent de faire voter un amendement à la constitution pour interdire pour de bon l'autodafé. En 2006, c'est par un vote seulement que le Sénat américain a défait cet amendement.

Le droit de brûler le drapeau est donc toujours garanti par la constitution américaine.

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Après la multiplication des portraits de la reine dans les bureaux du gouvernement, après cette loi pour protéger les amoureux du drapeau, quelle sera la prochaine étape?

Interdira-t-on les blagues sur les castors? Aura-t-on notre loi pour punir tout outrage aux symboles nationaux?

La loi, parrainée par le ministre du Patrimoine James Moore, n'enverra personne en prison. C'est une loi qui n'a d'autre objet que d'être brandie en public comme un argument. Une loi rhétorique.

C'est moins une «crispation identitaire» qui est à l'oeuvre ici qu'un repli symbolique. Une tentative de remodeler l'image que le Canada se fait de lui-même.

On prétend magnifier la feuille d'érable et la remixer avec les vieux habits du dominion britannique, qu'on avait rangés au musée.

Pour ça, on hissera quelques lois patriotiques inutiles comme autant de drapeaux.