J'étais quelques minutes derrière lui et, à la toute dernière courbe du demi-marathon, peut-être à 500 mètres de l'arrivée, je l'ai vu affalé sur le trottoir. Inerte. Deux personnes s'affairaient à le réanimer. L'ambulance roulait vers nous en sens contraire.

Oh... shit!

Un beau grand jeune homme. Trente-deux ans. Manifestement pas un coureur du dimanche. On l'a vu sous les 1h30 cette année, ce qui n'est pas à la portée du premier venu.

Un frisson m'a envahi. Pendant que les secours s'approchaient bruyamment, je n'avais que cette image en tête. Après quoi je courais? Des stupides secondes... Je ne savais plus s'il fallait ralentir pour ne pas tomber ou accélérer pour ne plus y penser. J'ai fait les deux.

À l'arrivée, je croise un coureur avec qui je m'entraîne. T'as vu le gars? Il avait l'air...

Mais non, les secours étaient là, c'était un gars en forme, sûrement allait-il mieux. Jean-Pascal m'avait raconté l'histoire de cet homme de 64 ans qui courait le marathon de Boston avec son fils l'an dernier. Infarctus au 40e kilomètre. Réanimation. Il a survécu. Alors, ce jeune homme, sûrement...

Il est mort.

Risques et bénéfices

Il est mort et on ne sait pas encore pourquoi. Ce qu'on sait, c'est qu'il est tombé à la fin d'une course éprouvante, par temps humide.

N'allez pas croire ceux qui disent que ça n'a «rien à voir» avec la course. Ce n'est pas vrai. Pendant un effort soutenu, on court plus de risque de subir un infarctus.

N'allez pas croire pour autant ceux qui diront que la course est dangereuse.

Un cardiologue cité dans le Runners World, bible des coureurs nord-américains, a résumé ainsi l'état des connaissances scientifiques dans le domaine, en 2008:

«Si votre seul but est de survivre pour la prochaine heure, allez vous coucher, seul de préférence. Mais si vous voulez vivre une vie longue et vigoureuse, vous devriez faire une heure d'exercice modéré par jour.»

Il n'y a aucune garantie. Mais les bénéfices surpassent largement les risques. Et si on se sent bien pendant et après, c'est déjà une raison valable...

Une personne qui souffre d'une maladie cardiaque court évidemment un risque accru: elle est déjà en danger. En 1978, une tempête de neige avait entraîné une petite épidémie de morts par infarctus dans le Rhode Island. La semaine suivante, le taux d'infarctus dans l'État avait chuté à un niveau anormalement bas. Les gens malades (qui souvent l'ignorent), qui auraient pu subir un infarctus une semaine plus tard, étaient tombés au combat en grand nombre en pelletant.

Marathon et forme

Ce débat ressurgit régulièrement, chaque fois qu'un de ces événements tragiques assombrit ce qui est censé être une sorte de festival de la santé.

Il y a une part de mensonge, d'ailleurs, dans cette façon d'associer marathon et bonne forme. Il faut être en bonne forme pour commencer à s'entraîner pour un marathon - une chose par définition excessive. Mais s'inscrire à un marathon pour se mettre en forme n'est pas nécessairement un projet sensé. Heureusement, depuis plusieurs années, il existe une panoplie de plus petites courses populaires et à la portée du commun des mortels.

Jim Fixx

Si chaque mort force les coureurs à se remettre en question - et à songer à un examen médical -, aucune n'a causé un plus grand traumatisme que celle de Jim Fixx, en 1984.

Fixx était le gourou du jogging dans les années 70 et le grand responsable de la première vague de marathons populaires. On lui doit des maximes de course encore répétées, du style: «La course n'ajoute peut-être pas d'années à votre vie, mais elle ajoute de la vie à vos années.»

Fixx vantait les mérites physiques et psychologiques du jogging avec un enthousiasme qui l'a rendu riche et célèbre. Ses livres étaient des best-sellers.

Et voilà qu'à 52 ans, Fixx meurt en joggant le long d'une route du Vermont, détruisant apparemment toutes ses théories un beau samedi après-midi.

Plusieurs ont rangé leurs souliers pour un bout de temps, terrorisés. Puis, on a analysé son cas. Le père de Fixx avait subi un infarctus à 37 ans et était mort quatre ans plus tard. Trois des artères de Jim Fixx étaient totalement bloquées. Mais la course avait renforcé son coeur au point de prolonger la vie de cet ex-fumeur obèse de 10 ans, selon les spécialistes qui l'ont examiné.

Courir

Dans ma famille, pas particulièrement sportive, on a suivi le chemin inverse: de l'infarctus à la course à pied.

Mon père, mes deux grands-pères sont morts d'un infarctus. Il y a quatre ans, mon frère a failli en mourir également.

Après quelques mois, son médecin l'a mis à la course. Tout doucement d'abord. Puis, un peu moins. Il court depuis ce temps-là et ne s'est jamais mieux porté. Il se permet même de battre ses temps chaque année.

C'est lui qui m'a fait découvrir la course. Sans lui, sans aussi le spectre de ces morts en fait, je n'aurais pas commencé à courir. Aujourd'hui, je ne cours plus «pour la forme», je l'avoue. Je cours pour faire des temps. J'aime à croire que ça me tient néanmoins en forme.

Je me dis aussi que je courais plus de risque avant, dans ma relative sédentarité.

Mais je ne le sais pas. Ce n'est toujours qu'un pari.

Va savoir ce qui t'attend au dernier détour d'une course. Des sourires par milliers tout le long. Puis, la mort qui te frôle.