Quand 300 personnes remplissent un amphithéâtre un mercredi soir de septembre pour assister à un débat d'experts sur les souliers de course, c'est qu'il se passe quelque chose.

Faut-il courir pieds nus? Avec des souliers «minimalistes» ? Selon quelle technique?

Ce qui se passe, c'est la déferlante de la course à pied. Phénomène sociologique autant que sportif qui grossit chaque année, comme en témoigne l'augmentation apparemment irrésistible du nombre de participants aux différentes courses du marathon de Montréal.

Les 24 000 places sont toutes prises depuis deux semaines. C'est une augmentation de 15% en un an. Quand on pense qu'il y avait 2400 personnes en 2003, en comptant les cyclistes...

Il n'y a rien de très original là-dedans, en fait: aux États-Unis, 5 millions de personnes ont terminé une course sur route en 1990. L'an dernier, ils étaient... 13 millions. C'est vrai pour toutes les distances. En 1976, 25 000 Américains ont terminé un marathon. Ils étaient 507 000 l'an dernier.

La chose n'est plus réservée à une élite athlétique ou à quelques amateurs frénétiques. C'est un phénomène de masse qui semble durer.

Si la course la plus populaire est celle de 5 km, celle dont le nombre de participants connaît l'augmentation la plus spectaculaire est le demi-marathon (21,1 km): 400% depuis 20 ans, à coups de 15% à 20% par année récemment.

C'est donc un énorme business en même temps. Des frais d'inscription aux souliers (le coureur moyen en achète 2,9 paires par année), en passant par les suppléments, les gels, les magazines, les antidouleurs, etc.

On n'a donc pas été tout à fait étonné, vendredi, d'apprendre que le Marathon Oasis de Montréal vient d'être «acheté» (au moins en partie) par un groupe américain, le Competitor Group, qui organise la série Rock'n'roll Marathons aux États-Unis.

Le potentiel commercial est loin d'être épuisé, et le Marathon de Montréal commence à être secoué par sa crise de croissance. Il n'est pas au niveau de ses concurrents. On risque de voir les choses changer assez rapidement avec cet acteur énorme.

Competitor organise 7 des demi-marathons les plus importants aux États-Unis et des dizaines de courses, dont 6 marathons de plus de 30 000 participants. Il possède des magazines et des sites web. Il pense pouvoir faire augmenter le nombre de participants à plus de 30 000 dès l'an prochain. La visibilité va tripler. Bref, on n'a rien vu encore, apparemment.

«Ce n'est pas normal qu'on ait plus de coureurs européens que d'Américains», dit Bernard Arsenault, PDG du Marathon, qui l'a fait revivre il y a huit ans et qui demeure associé à l'événement.

On peut même rêver que le succès du Marathon finisse par convaincre la Ville de Montréal d'accepter un nouveau parcours. Ce n'est toujours pas réglé, même si les discussions ont lieu depuis un an entre le Marathon et les... 32 intervenants des arrondissements et services concernés!

Pourquoi tous ces gens courent-ils? Pour garder la forme, pour perdre du poids, pour faire passer le stress, disent les sondages.

Ils courent aussi pour mille oeuvres de charité.

Courir pour la bonne cause ou avoir l'impression d'offrir à quelqu'un un peu de ces millions de pas perdus...

Jacqueline Gareau, championne du mythique marathon de Boston en 1980, courra dimanche le demi tranquillement pour Suicide Action Montréal (1-866-appelle).

«Un ami avec qui je faisais du ski de fond, beau gars, de beaux enfants, qui avait l'air de tout réussir, s'est enlevé la vie. Si seulement il avait demandé de l'aide...»

Seulement pour la recherche sur le cancer, les trois plus grandes organisations de charité américaines ont amassé près de trois quarts de milliard en 2010.

Et de partout, on voit surgir des projets qui s'accrochent à la course à pied.

Les Étudiants dans la course, pour la deuxième année, feront courir un marathon à un groupe d'élèves du secondaire de milieux défavorisés. Un projet pas tant de raccrochage que de valorisation, l'idée étant de se planifier un petit Everest personnel, d'y aller, et de revenir avec l'idée que plein de choses impensables sont possibles.

L'automne dernier, il y a eu 30 inscrits, sans aucune expérience de course. Avec 30 mentors et un encadrement médical et sportif, à raison de 3 rencontres par semaine, 18 se rendront à la ligne de départ. C'est six de plus que l'an dernier.

L'autre dimanche, j'ai couru 16 km avec eux. Les plus longues sorties étaient déjà faites. Ils sont prêts et sautillants. Ne reste plus qu'à le vivre.

Il y avait Mamadou, qui dit avoir perdu 10 kg. La course? Euh... Non. Deux mois dans son Sénégal natal, loin des hamburgers...

Il courait avec Ndembi, arrivé du Gabon il y a deux ans.

«Tu veux faire quoi plus tard, Ndembi? demande Mamadou entre deux foulées.

- Je serai le premier astronaute noir!

- Ah, j'aurais voulu aussi, mais les mathématiques...

- C'est parce que tu manques de volonté!»

Ils ont continué en rigolant.

Dimanche, ils feront sans trop souffrir les 32 premiers kilomètres, comme tout le monde.

Puis ils arriveront devant le parc Père-Marquette. C'est là que commence la longue plongée de 10 km dans l'inconnu.

Il convient que ce bout-là commence devant un endroit qui porte le nom de cet explorateur du Nouveau Monde et de ses mystères...