C'est un signe encourageant. La procureure de la poursuite aux superprocès des Hells Angels a annoncé un changement majeur de stratégie.

On va recentrer le tout.

Au lieu d'essayer de faire condamner les 124 motards pour 22 meurtres, les procureurs de l'État ont ciblé les accusations les mieux étayées.

On ordonne donc la «suspension» des accusations concernant toute une série de meurtres afin de raccourcir les débats. Le ministère public pense ainsi écourter de 30 à 40% le temps de présentation de la preuve.

C'est évidemment le bon sens. Quand on enquête sur une organisation criminelle pendant deux ans, on peut découvrir des milliers de crimes. Il faut cibler les plus graves - ce qu'on a fait ici - et, entre ces plus graves, choisir ceux qui sont les plus «gérables» dans un procès.

Pour ce qui est de la peine, il n'y a pas de différence entre une condamnation pour 5 meurtres et une condamnation pour 22 meurtres. Une fois qu'on a condamné quelqu'un à l'emprisonnement à vie, on peut difficilement en rajouter.

Pour les accusés aussi, un ciblage est plus juste puisqu'ils ne sont pas noyés dans une mer d'accusations.

Les autres accusations ne sont pas abandonnées, elles sont «suspendues» par la poursuite, «malgré sa conviction d'être en possession d'une preuve légalement admissible permettant la condamnation des accusés».

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Ironique... Le printemps dernier, le juge James Brunton a décrété l'arrêt du processus judiciaire contre 31 personnes (parmi les 155 motards), pour les accusations de trafic et de gangstérisme.

Pourquoi? Parce qu'il anticipait des délais totalement déraisonnables pour juger l'ensemble des 155 accusés.

Or, la poursuite avait proposé, au printemps, de réduire le nombre d'accusations. Une proposition jugée tardive et pas vraiment concrète.

Le juge Brunton a estimé que la seule issue possible était d'écarter les dossiers les moins graves et de maintenir les accusations de meurtre contre 124 motards.

Il avait estimé que, sans cela, les 31 auraient leur procès dans plus de 10 ans.

Or, avec cette stratégie de recentrage, on peut prévoir - ou espérer - des délais moindres. Le raisonnement qui a mené le juge à sa conclusion s'en trouve donc affaibli, et sans doute cela aidera-t-il la cause de la poursuite en appel.

Quoi qu'il en soit, cette décision concerne deux procès: celui des 19 Hells du «chapitre» de Québec et, bientôt, celui d'une trentaine du «chapitre» de Sherbrooke.

Cette décision arrive au moment où entrent en vigueur les nouvelles dispositions du Code criminel destinées à faciliter la gestion de ces énormes dossiers.

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On donne plus de pouvoirs aux juges pour gérer ces dossiers; on permet de regrouper toutes les causes pour décider des points de droit communs (au lieu de répéter les arguments); en cas de nouveau procès, on permet d'importer les décisions juridiques du premier procès au lieu de reprendre le débat; on nommera deux jurés suppléants.

Le système donne donc quelques signes d'adaptation aux nouvelles réalités policières et criminelles...

Le juge Brunton

J'ai dit dans ces pages, et assez durement, mon désaccord avec le jugement Brunton qui libérait les 31. Pour moi, c'était prématuré, et c'était une intervention dans les prérogatives de la poursuite.

Mais s'il y a un homme d'une irréprochable intégrité, c'est bien cet ancien procureur de la Couronne fédérale, qui a passé une bonne partie de sa carrière d'avocat à lutter contre le crime organisé.

Aussi, je trouve particulièrement vicieuse l'insinuation lancée par un entrepreneur au sujet des relations d'affaires du gendre du juge Brunton.

Radio-Canada a révélé lundi que la Sûreté du Québec a ouvert une enquête. Pourquoi? Le gendre du juge est associé dans une entreprise qui loue des échafaudages. Sa société en a loué un à une société d'affichage qui appartient en partie à un ancien motard, Normand Ouimet. Ce Ouimet est au nombre des 124 motards encore accusés - de meurtre. Il a aussi bénéficié d'un arrêt du processus judiciaire partiel, car il était également accusé de trafic et de gangstérisme.

Le gendre est-il un ami de Ouimet? Non. Un associé? Non plus. Le fréquente-t-il? Pas du tout. L'a-t-il déjà même rencontré? Apparemment non.

Alors quoi? Alors rien. On ne peut pas exiger d'une entreprise qu'elle vérifie le dossier judiciaire de tous les associés des entreprises avec lesquelles elle fait affaire! Si l'on peut exiger de l'État qu'il ne fasse pas affaire avec des entreprises délinquantes, on ne peut pas reprocher à un homme d'affaires d'avoir une relation commerciale légale et épisodique avec une entreprise où travaille un motard, encore moins s'il l'ignore.

Quant au juge, il n'était pas au courant de ce non-événement.

Il n'y a là aucun «conflit d'intérêts» ni même apparence de conflit d'intérêts. Rien qu'une coïncidence insignifiante, grossie à l'ère de l'internet.

Comme les procès sont sur le point de commencer, il n'y a qu'une chose à faire: vider la question immédiatement et passer à autre chose. La défense ou la poursuite peuvent demander la récusation du juge. On est dans l'univers des perceptions dans un procès d'une importance historique, et bien des gens sont nerveux, bien des gens ont toutes sortes d'intérêts.

Mais juridiquement, ça ne passe pas la rampe. Espérons qu'on écartera ça rapidement et pour de bon.