Un mois plus tard, Claude Robinson n'a toujours pas dit s'il tentera sa chance devant la Cour suprême. On pourrait penser qu'avec en poche une condamnation de 2,7 millions et une victoire morale complète, il devrait se déclarer satisfait et profiter de la vie.

Mais avec les honoraires qu'on lui a facturés, l'artiste revient à peu près à la case départ.

La Cour d'appel, en réduisant de moitié la condamnation initiale, conclut pourtant son jugement en forme de happy end.

Ceux qui l'ont volé «ne retireront rien de leur forfait», car ils devront en redonner les profits, plus d'autres «sommes importantes», dit la Cour.

«Voilà un bon moyen de les punir et de les dissuader de recommencer, tout en compensant adéquatement» Robinson, croit le plus haut tribunal au Québec.

Dans la vraie vie, ce n'est pas le cas. La morale de l'histoire est exactement le contraire: une inaccessible justice.

Producteurs: volez un auteur, mentez, trichez, embauchez les vedettes du barreau, faites un barrage juridique systématique, dépensez des millions en avocats. À la fin, vous épuiserez l'artiste.

Robinson a été soutenu financièrement par le cabinet Gowlings. Un petit cabinet n'aurait sans doute pas eu les reins assez solides pour attendre 15 ans avant d'être payé.

Le revers de cette patience, c'est qu'en cas de victoire, les honoraires sont à la hauteur de ce qu'on facture aux clients ordinaires de ces grands bureaux - essentiellement des entreprises.

Voilà comment Robinson arrive à zéro.

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Il est vrai qu'avec 1,5 million de dollars accordés par la Cour, on devrait pouvoir payer ses avocats, même au bout de 15 ans de procédures. Mais Gowlings, qui a financé la poursuite depuis le début, a facturé 2,3 millions jusqu'au procès. Le juge du procès, Claude Auclair, avait trouvé la facture trop salée et parlé d'un «bar ouvert». Il a réduit la compensation à 1,5 million. Or, voilà que rien que pour l'appel, Gowlings facture à Robinson... 856 944$!

La Loi sur le droit d'auteur prévoit qu'un auteur spolié peut réclamer les frais d'avocat engagés pour récupérer ses droits - d'où les 1,5 million. Mais la Cour d'appel refuse d'accorder quoi que ce soit pour l'appel, sous prétexte que l'appel n'est pas abusif. La preuve: il est en partie accueilli.

Pourtant, sur l'essentiel, l'appel est presque totalement rejeté. Ronald Weinberg, Cinar, Christophe Izard - le faux auteur - sont tous tenus responsables de ce vol de droit d'auteur.

Simplement, la Cour d'appel reproche au juge des erreurs de calcul et des exagérations dans l'indemnisation. Robinson devait néanmoins se défendre contre toutes les attaques - y compris la persistance des gens poursuivis à nier tout vol de droit d'auteur.

Cela ne mérite aucune compensation seulement parce que le juge, aux yeux de la Cour d'appel, a fait des erreurs de calcul?

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Pour la Cour d'appel, il est clair que le jugement Auclair était par trop émotif et empreint d'une sympathie sans retenue pour Claude Robinson. Ainsi, la Cour d'appel ramène d'un million à 250 000$ les dommages punitifs accordés par le juge.

Il est vrai qu'il s'agit d'une mesure exceptionnelle, prise uniquement quand il y a une violation intentionnelle des droits qui mérite d'être dénoncée.

Weinberg et compagnie «ont eu tort de nier qu'ils avaient eu accès à l'oeuvre de M. Robinson, mais en dépit de ce fait, ils avaient une cause valable».

En effet, même les pires voleurs ont toujours quelques arguments à faire valoir, n'est-ce pas? Mais quand, pendant des années, ils pratiquent l'obstruction, mentent et empêchent la cause d'avancer, faut-il trouver que c'est de bonne guerre, car tout n'est pas totalement malhonnête?

La Cour estime également que le préjudice psychologique a été exagéré par le juge Auclair: on fait passer la facture de 400 000$ à 121 350$.

La principale réduction est toutefois au chapitre des profits. Les calculs de la Cour d'appel l'amènent à conclure que la série n'a rapporté que 521 000$ sur 13,3 millions.

Je connais des producteurs de télé qui vont s'étouffer en lisant ça! Mais Cinar et compagnie ont convaincu la Cour d'appel que les dépenses de production ont été sous-estimées par le juge Auclair. Quand on sait que Cinar était passée maître dans l'art de la fraude en gonflant ses dépenses, il y a de quoi être sceptique.

Ce nouveau calcul fait passer de 1,7 million à... 260 000$ la part de Robinson.

La Cour retranche également les revenus pour la musique de l'émission, qui effectivement n'est pas l'oeuvre de Robinson - mais qui en est indissociable et n'aurait rien rapporté sans sa diffusion.

Reste un mois pour demander une permission d'appeler en Cour suprême.

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Si j'ai bien compté, Robinson touche 2,7 millions (plus divers intérêts) et ses honoraires s'élèvent à 3,1 millions.

On pourra discuter sans fin le mérite du nouveau calcul subtil de la Cour d'appel.

Il n'y a pas de doute que la sympathie médiatique et populaire est du côté de Claude Robinson et que cela ne doit pas empêcher les tribunaux de faire leur travail froidement selon les principes juridiques, pas pour plaire à l'opinion publique.

OK.

Mais il y a un calcul fort simple à la fin de cet exercice qui nous dit si justice a été rendue ou non: que reste-t-il dans les poches de l'auteur, après 15 ans à crier au vol?

Un jugement qui dit qu'il s'est effectivement fait voler; un deuxième jugement qui le confirme; de gros chiffres écrits à la fin du jugement... Et à peu près rien pour sa peine.

Cette légalité-là ne peut pas être juste.

Pour joindre notre chroniqueur: yves.boisvert@lapresse.ca