Patrick Limoges n'était pas «au mauvais endroit au mauvais moment».

Ce sont les policiers de Montréal qui étaient au mauvais endroit, de la mauvaise façon. Ce n'est pas tant le hasard qui l'a tué. C'est l'incompétence policière.

D'un peu partout, on réclame maintenant un nouveau système d'enquête indépendant sur ce genre d'événement. Ce n'est pas forcément mauvais.

Mais que pensez-vous qu'une enquête criminelle peut conclure quand un policier se fait sauter dessus par un homme avec un poignard?

Je veux dire que rendu là, il est déjà trop tard.

Dans ce fameux cercle fatal de six mètres, le policier le mieux formé est justifié d'utiliser son arme pour sauver sa peau.

Utilisation de la «force nécessaire» ou «légitime défense», le Code criminel sera de son bord. Prenez vos enquêteurs à la SQ ou à l'Île-du-Prince-Édouard, ils verront la même chose: un homme dans l'exercice de ses fonctions qui est menacé de mort ou de blessure grave, il a le droit de tirer.

Ce qu'il faut se demander, c'est ce qui nous mène à l'intérieur de ce cercle mortel.

C'est ça, qui n'a pas de sens. À quatre policiers, qui connaissaient Mario Hamel, qui connaissent le secteur... Ça n'a pas de sens.

* * *

Je sais: c'est facile de jouer les entraîneurs du lendemain matin. Je sais: tout se passe vite et croche. Je sais: tous ces anciens flics qui disent à la radio»dans mon temps...» disent n'importe quoi.

Leur temps de claques sur la gueule n'est pas un temps béni et on n'a pas à y retourner.

Mais aujourd'hui, deux hommes sont morts, mais devraient être vivants. Le pire de cette affaire, peut-être, c'est que la mort d'un passant nous fait réaliser qu'il y a un sérieux problème dans notre police.

Ce n'est plus seulement un «crotté», un fou avec un couteau... Généralement, on passe vite sur ces morts de deuxième catégorie. On se dit que c'est une triste fin pour un pauvre type qui avait perdu la carte.

Un autre... Que voulez-vous...

Et c'est ainsi qu'on banalise l'usage des armes à feu par la police. Jusqu'à ce qu'on assiste à une scène absurde et tragique qui fait mourir un travailleur exemplaire. Une balle perdue.

Mais il y a deux morts de trop dans cette histoire. Et il faut qu'on nous explique ce qui a mené là. Pas seulement s'il s'agit d'un acte criminel - encore que ce ne soit pas un détail.

* * *

Je n'entends pas par là que toutes les enquêtes se valent. Bien entendu, il faut une enquête indépendante et transparente. Si elle arrive à la conclusion qu'il n'y a pas eu de délit de la part des policiers, on veut être convaincu que ce n'est pas par complaisance.

C'est le grand reproche qu'on fait au système actuel des «enquêtes ministérielles» québécoises. En vertu de cette politique, chaque fois qu'il y a mort d'homme ou blessure grave à la suite de l'usage d'une arme à feu (notamment) par un corps policier, c'est un autre corps policier qui doit mener l'enquête.

La SQ se voit confier la plupart des dossiers en province ou de Montréal. Montréal enquête souvent sur les cas de la SQ.

Les critiques disent que les policiers «se protègent» entre eux. La Commission des droits de la personne, et maintenant le Protecteur du citoyen (en 2010), réclament la création d'une police des polices totalement indépendante.

En moyenne, au cours des dernières années, 27 enquêtes ont été menées (le tiers visait la SQ, le quart le SPVM). On a compté deux mises en accusation de 1999 à 2009, sur près de 300 enquêtes.

Le Protecteur du citoyen observe que les enquêteurs ne sont pas très pugnaces, qu'on tarde à interroger les policiers et que les règles d'encadrement sont floues.

Il y a dans tout le processus une «apparence de partialité», dit-on. Le Protecteur recommande d'adopter le modèle ontarien, qui a son unité des enquêtes spéciales, représentée dans toutes les régions et qui n'appartient à aucun corps policier. Elle a son labo, ses locaux.

Mais, évidemment, les enquêteurs sont généralement d'anciens policiers. Comme dit l'ancien sous-ministre Mario Bilodeau, pour faire des enquêtes, on n'engage pas des dentistes...

Faudra-t-il des «enquêteurs civils», c'est-à-dire des non-policiers formés aux mêmes techniques?

L'avocat André Fiset, qui a représenté plusieurs policiers, vient de faire paraître un livre (Qui doit policer la police?, chez Yvon Blais) dans lequel il fait ressortir que le système ontarien n'a pas donné lieu à plus d'accusations criminelles. Il n'a pas non plus fait diminuer le nombre d'incidents graves. Il est relativement coûteux (il dépasse les 8 millions) et tout aussi critiqué comme «protégeant» les «chemises bleues».

Il suggère un système mixte, où des civils seraient associés aux enquêtes et où les résultats seraient connus du public. Actuellement, c'est selon le bon vouloir du Directeur des poursuites criminelles et pénales qu'on apprend ce qui mène à une accusation - ou pas. Très souvent, on n'en apprend rien du tout.

* * *

D'une manière ou d'une autre, le système québécois ne fonctionne plus, du simple fait de son manque de crédibilité. Il doit être revu et doit inclure des membres du public. Les rapports sur le sujet s'empilent depuis 25 ans.

Mais n'attendons pas un système où les accusations se mettraient à pleuvoir. L'usage de la force par les policiers est protégé en partie par la loi. C'est aussi pour ça qu'on dépose rarement des accusations.

C'est pour cette raison très précise - ce pouvoir extraordinaire sur la vie des gens - qu'il faut surveiller ce qu'ils font de cette violence légale.

Qu'il faut voir ce qui a mené ces policiers à l'intérieur de cette zone mortelle.

Le voilà, le tragique problème.