La première chose qui m'a renversé en lisant le jugement dans l'affaire Réjean Hinse, c'est qu'il n'y a eu aucun débat sur l'essentiel.

Réjean Hinse? Oui, bien sûr, c'est un innocent qu'on a envoyé en prison.

Tant le procureur général du Québec que celui du Canada l'ont reconnu à la fin du procès, en décembre.

Le jugement de la juge Hélène Poulin ne parle en fait pas du tout de «ça»: comment un homme 21 ans s'est retrouvé en prison pendant cinq ans pour un hold-up qu'il n'a pas commis à Mont-Laurier en 1961.

Et pourtant, depuis 1997 que la poursuite de Réjean Hinse est déposée, les deux procureurs ont dressé un mur de déni devant lui.

Erreur judiciaire? Pas prouvé. Pas sûr. Les victimes le reconnaissent. Que Hinse le démontre.

La démonstration était pourtant assez claire, depuis que les auteurs du crime ont juré qu'il n'y était pas, que l'enquête a été déclarée «pourrie» en 1988, que la Cour suprême l'a acquitté sans hésitation trois ans plus tard, des années après le fait.

Mais au lieu de le dédommager comme l'État a la responsabilité de le faire, on l'a forcé à faire un procès.

Et à la fin du procès, que dit le procureur général?

Eh ben oui, c'est vraiment une erreur.

Québec a réglé pour 5 millions pour les fautes de ses procureurs. La Ville de Mont-Laurier avait réglé avant le procès.

Restait la poursuite contre le Procureur général du Canada. Et c'est uniquement là-dessus que porte le jugement rendu jeudi: la responsabilité d'Ottawa. C'est en effet le ministre fédéral de la Justice qui a le pouvoir d'ordonner le réexamen des dossiers d'erreur judiciaire.

Réponse de la juge Poulin: la faute d'Ottawa est grande et vaut une compensation de 8 millions.

Ce qui fait 13 millions pour les deux gouvernements.

Faute par indifférence

Jamais personne n'a obtenu une telle compensation pour une erreur judiciaire au Québec.

Mais ce n'est pas seulement le «combien» qui fait de l'affaire Réjean Hinse une cause sans précédent.

C'est aussi le pourquoi.

Quelle est la faute du PG fédéral? N'avoir rien fait. Rien écouté. «Indifférence institutionnelle», comme dit la juge.

Une condamnation de 8 millions pour une faute par omission, voilà qui est robuste. Mais à la lecture de cette interminable tentative d'obtenir justice, difficile de dire que ce n'est pas justifié.

La tête sur le mur

Si on ne l'a pas vécu, il n'y a probablement pas moyen de mesurer ce que c'est que de passer cinq ans en prison pour un innocent.

Puis les 45 suivantes à prouver qu'on l'est.

C'est si loin, 1964. Comment n'a-t-il pas oublié, depuis sa sortie de prison, en 1969? Il a fait sa vie, il a travaillé, il a eu des enfants...

Il faut l'entendre pour commencer à avoir une idée des flashs qui l'habitent.

Pendant que j'étais au pénitencier, j'avais tellement mal à la tête, dit M. Hinse, que je n'avais trouvé qu'un seul moyen de me soulager: me cogner la tête sur les murs.

Il se cognait la tête tranquillement sur le mur de béton pour commencer. Puis plus fort. Et plus fort encore.

«Jusqu'à ce que le mal que je ressente à l'extérieur soit plus fort que le mal que je ressentais à l'intérieur.»

Il en a fait une habitude, puisque des murs, il allait en cogner un, et un autre, et des centaines pendant les 42 ans qui ont suivi sa sortie de prison.

La juge Poulin énumère toutes les lettres qu'a envoyées Réjean Hinse pour demander que son dossier soit réexaminé. Alors que dans d'autres cas, Ottawa a demandé une enquête et nommé un arbitre pour décider de la compensation, dans ce cas-ci on n'a rien fait.

On n'a même pas examiné la possibilité de le faire, même si les indices clairs d'une erreur judiciaire s'accumulaient.

L'État a pourtant l'obligation de «réagir le plus tôt possible» face à une «condamnation sans fondement», écrit la juge.

La prison qui «cultive»

Le plus révoltant dans ce jugement (on a le choix, remarquez) est de lire les conclusions du psychiatre Gilles Chamberland, embauché par le Procureur général du Canada pour évaluer les dommages psychologiques découlant de cette incarcération injuste de CINQ ANS.

Ces injustices «n'ont pas eu d'impact négatif quantifiable sur sa vie», dit le psy.

Êtes-vous sérieux, docteur?

Mieux: cet «arrêt obligatoire dans sa vie lui a permis d'apprendre à fonctionner selon des normes attendues, tout en lui permettant de se développer un bagage de culture générale qui ne lui aurait pas été accessible autrement». Il ajoute que l'emprisonnement a eu un effet «structurant» sur Hinse.

Le pénitencier forme la jeunesse, en somme!

Avez-vous déjà passé une journée en prison, docteur? Et 1800 jours et nuits, quand on n'a rien fait? Désespéré? À se cogner la tête sur les murs?

Même l'avocat d'Ottawa a dit être «tombé en bas de sa chaise» en lisant ça.

Je ne vois pas vraiment ce qu'on peut dire de plus dégueulasse à un innocent: la prison vous a fait le plus grand bien, mon ami.

***

Mais enfin, 50 incroyables années plus tard, justice a été rendue.

Et avis est maintenant donné aux responsables: les erreurs judiciaires devraient nous empêcher de dormir, nous autres aussi.