Si ça continue comme ça, on va passer pour une province de moumounes. C'est ça qui va arriver, mesdames et messieurs.

Je ne parle ici ni des subventions fédérales au transport de l'électricité, ni du retrait des troupes canadiennes d'Afghanistan, ni de l'opposition du Québec à une commission fédérale des valeurs mobilières, ni d'aucun autre sujet transitoire de désunion.

Je parle d'un sujet intemporel.

Dans le Canada de 2011, soyons sérieux, les deux mamelles de l'unité nationale ne sont plus la Charte des droits et l'assurance maladie.

Ce qui cimente ce pays multinational, ce qui fait que, de temps en temps, le gérant du Rona de Rivière-du-Loup est très exactement sur la même longueur d'onde que le professeur de maths de Lethbridge, cela se résume à deux choses: Tim Hortons et la haine de Gary Bettman.

Donc, le hockey.

Mais voilà que ce sport qui unit le Pacifique à Malartic risque de nous diviser davantage.

Pas tant le sport que la dénonciation inconsidérée de la violence dans le sport.

Oui madame. Ça vient de Patrick Roy, un type qui s'y connaît dans les deux domaines. M. Roy a encore élevé le débat la semaine dernière dans une entrevue radiophonique en disant qu'à force d'en appeler à des punitions sévères contre la violence au hockey et même à la justice, on allait finir par faire passer le Québec pour «moumoune».

Quand Mikaël Tam, joueur des Remparts, a été agressé à coup de coude à la tête par l'adversaire Patrice Cormier, ce même Patrick Roy déclarait: «Nous allons déposer une plainte et nous songeons également à porter l'affaire devant les tribunaux.»

On a tous un petit côté moumoune, faut croire.

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Au-delà de la moumounerie, deux questions se posent - il s'en pose beaucoup plus mais on n'a l'espace que pour deux.

La première: quand donc les tribunaux peuvent-ils se mêler de hockey? Et l'autre, plus philosophique: qu'ossa donne?

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Pour répondre, je vous invite au match qui opposait les Pirates de Magog à l'équipe de Stanstead, le 4 janvier 1931.

On est en période supplémentaire et ça brasse un peu sur la patinoire. Un dénommé Hébert se lance dans une course folle pour la rondelle. Un dénommé Gagné le ramasse avec un coup de hanche pas trop subtil. Hébert revole. Un coup «violent mais parfaitement légitime», dira le juge.

Ce qui n'était pas légitime, c'est le coup de bâton que Hébert donna au visage de Gagné pour se venger. Gagné a perdu connaissance et s'est réveillé avec une cicatrice indélébile.

Gagné - peut-être par moumounerie, l'histoire ne le dit pas - a poursuivi Hébert pour la somme colossale de 950$.

Hébert a plaidé la défense classique: le hockey est «un jeu rude et vigoureux», il est légal, et les joueurs «acceptent les risques inhérents à ce sport». Il y a aussi une sorte d'entente tacite entre les joueurs: on ne règle pas ses problèmes à la cour.

Le juge Joseph Archambault, de la Cour supérieure, reconnaît cette coutume et observe qu'en ce 13 octobre 1932, il est le premier juge à se prononcer sur une affaire de hockey.

Mais cette coutume ne change rien au droit: ceux qui causent des dommages par leur faute en sont responsables.

Le juge observe en passant ceci: le hockey, qui peut être magnifique, «est en train de dégénérer en tuerie sous l'oeil complaisant des officiers des ligues, des propriétaires de clubs et des arbitres».

Quand un joueur ne se contente pas d'arrêter un adversaire mais cherche «à le démolir ou à l'estropier», il commet une faute.

Considérant que Hébert a agi sous la colère, sans préméditation, il n'accorde toutefois que 50$ à Gagné.

«Il est grand temps que les tribunaux interviennent et s'élèvent contre ces spectacles révoltants», écrit le juge. En 1932...

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En 2005, James Andrew Leinhos, a obtenu 5214$ du club de hockey Mission et des frères Maxime et Julien Rémillard qui en étaient propriétaires. Leinhos avait été frappé sournoisement par un joueur du Mission avant même le début d'un match «semi-professionnel».

Encore là, le juge Normand Amyot, de la Cour du Québec, conclut que ce coup illégal dépasse ce à quoi un joueur de hockey peut s'attendre comme risque dans une partie.

Ce qui répond à la première question.

Mais qui laisse la deuxième ouverte: le recours aux tribunaux, s'il change pour le mieux le comportement humain, le fait très, très lentement...

C'est peut-être trop demander à la justice. Si elle peut redresser quelques torts, tout n'est pas perdu.

Il y a tout de même des limites à la moumounerie.