Ils sont 70 installés dans le gymnase d'une école primaire et c'est l'heure du ménage. Ils ont tous leur tâche, y compris les enfants. Tout doit être propre.

«La routine et la discipline, c'est dans le coeur de tous les Japonais», dit Kunitaka Nakayama, non sans fierté.

À quelques rues de là, dans le centre de Sendai, à peu près intact, des milliers de gens font la queue pendant des heures devant le supermarché dans l'ordre et le silence.

On est pourtant dans une ville d'un million d'habitants, à cinq heures de camion de Tokyo en ce moment (le train ne fonctionne pas ici), mais tout est rationné. On n'en verra pas se lamenter ou s'impatienter.

D'autres sont dans des refuges. D'autres sont morts.

Ils parlent du «gaman». La force d'endurer sans se plaindre. Une vertu japonaise, disent-ils.

Comment se plaindre quand des villages entiers sont pulvérisés?

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Dans chaque refuge, je demande s'ils savent combien de gens sont disparus dans le quartier. Ils ne savent pas trop. Peut-être 400?

La mairie a des listes, mais ceux qui ne viennent pas aux refuges sont peut-être simplement ailleurs.

Dans une ville de 17 000 personnes, on est sans nouvelles de 7000 citoyens. De toute manière, les listes et toutes les données de la mairie sont parties dans le tsunami.

Et franchement, la compilation des disparus n'est pas la priorité. Il manque d'eau et pour bien des réfugiés, le seul repas sera une boule de riz.

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Ce qui tient Hiruki Yamatzaki, 15 ans, c'est moins le gaman que Gundam, jeu vidéo de l'heure sur PSP, une console portative.

Le 11 mars était une date importante pour lui. Il a obtenu son diplôme de l'école secondaire. Il revenait de la cérémonie avec son père et la terre a tremblé. On ne pouvait plus entrer dans l'appartement. Il attend les résultats de ses examens pour la meilleure école pour le préparer à la faculté de génie. Il se demande bien comment il va étudier ici.

«Imaginez-vous qu'il veut travailler pour la société d'électricité de Tokyo (TEPCO)!» dit son père, incrédule. TEPCO, propriétaire de la centrale nucléaire de Fukushima, n'est pas la société la plus populaire au Japon en ce moment.

Il est gérant d'hôtel. Mais il n'y a plus d'hôtel.

«On est bien ici, dit Mitsuhiro Yamazaki. Dans l'autre refuge, nous étions 400, et il n'y avait pas assez de place pour se coucher, on devait dormir accroupis, les uns sur les autres.»

On est bien, mais il n'y a pas de douche, aucun chauffage, sauf quelques réchauds au kérosène. Pour mal faire, ce début de printemps est froid. À peine 6 ou 8, et très humide.

Des adolescents du quartier sont venus comme bénévoles. Ils jouent aux cartes en rigolant.

Ceux dont la maison a tenu le coup retournent chez eux le jour, faire le ménage, et retournent coucher au refuge.

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Hobara Masahiro, 65 ans, a vu sa maison partir sous ses yeux. Le «mur noir» était à 100 mètres. Sa femme avait quitté la maison après le tremblement de terre et il était allé la chercher. Elle avait déjà quitté la maison. Ils se sont retrouvés au refuge.

«Le premier jour, il faisait si froid et on avait tellement peur, j'ai gardé mes souliers (en cas de fuite)!» dit-il.

Pour garder ses souliers à l'intérieur, il faut que les choses aillent très mal.

Qu'est-ce qui va vous arriver, maintenant, M. Masahiro?

C'est la question à ne pas poser. Le futur n'existe pas. Chaque jour est suffisamment lourd.

L'homme éclate en sanglots. «Je ne sais, je ne sais pas...»

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La plage de Matsushima est un des endroits préférés des Japonais. Comme tout le littoral dans les environs, il a été avalé par l'océan.

Tsukasa Ishimori, 34 ans, travaillait pas loin d'ici. Quand la vague est arrivée, les 10 autres employés de l'usine de fer et lui ont tout juste eu le temps de monter sur le toit.

«Nous avons passé toute la nuit là. L'eau arrivait presque au toit. On voyait passer des corps et des voitures. Sur les toits des maisons au loin, on voyait d'autres gens. L'hélicoptère nous a trouvés le lendemain. J'ai été chanceux.»

Nous marchons dans les rues de son quartier avec sa femme, Tomomi, 34 ans. Ici, les maisons ont tenu. Les gens en sortent la boue et les débris.

Deux rues plus loin, tout est rasé.

Dans ce qui était un champ, il reste 50 cm d'eau dans lesquels baigne un fatras de débris surplombé par des voitures.

«À mesure que l'eau baisse, on trouve des cadavres. J'en ai sorti deux, hier, avec un tatami.»

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Nous allons dans deux refuges. Ils sont généralement dans des écoles ou dans les locaux de la mairie.

Ceux-ci sont des «chanceux». Ils ont encore une maison, mais attendent le retour de l'électricité et de l'eau. Ils ont tous perdu une soeur, un grand-père, leur ami.

Les rizières ici sont encore recouvertes de 10 cm d'eau salée. On n'y verra rien pousser cette année.

Mais ne parlons pas du futur.

Organiser la journée. Gérer la survie: c'est tout ce qu'on peut considérer en ce moment.