Le jugement d'hier dans cette affaire de meurtre impliquant cinq accusés est un exercice de rééquilibrage des droits des accusés et de la société (voir texte ci-dessous).

Depuis la création de la Charte canadienne des droits et libertés (1982), les tribunaux cherchent une sorte de point d'équilibre. Quand faut-il exclure une preuve? Dans quels cas une perquisition doit-elle être annulée? Quelles sont les limites des interrogatoires de police?

Dans la décennie qui a suivi l'adoption de la charte, la Cour suprême a assis de manière vigoureuse les nouvelles protections constitutionnelles. Les droits des accusés ont été affirmés comme jamais auparavant.

Depuis une dizaine d'années, on sent souffler un vent contraire.

Certains diront qu'on ne fait que raffiner le modèle. J'ai plutôt l'impression que les tribunaux répondent aux inquiétudes exprimées de toutes sortes de manières dans l'opinion publique après certains excès d'enthousiasme judiciaire.

Ce que nous dit le plus haut tribunal au Québec, dans son jugement d'hier, c'est que, si l'accusé a droit à un procès juste, la société a également le droit de voir les affaires criminelles importantes jugées sur le fond.

Rien de nouveau là-dedans, mais c'est dit dans une affaire qui a fait grand bruit. Et sur un sujet très délicat. Ce jugement aura donc un impact certain, d'autant plus qu'il est rédigé par l'autorité de la Cour d'appel en droit criminel, le juge François Doyon.

Une injustice commise par la poursuite aux dépens d'un accusé ne devrait entraîner la suspension du processus que dans les cas extrêmes. Seulement s'il n'y a pas d'autre solution. Et jamais pour «punir» l'avocat de la poursuite.

La Cour d'appel reproche donc à la juge Sophie Bourque d'avoir sorti trop vite l'arme judiciaire nucléaire pour dénoncer les agissements de l'avocat de la poursuite dans l'affaire Ellis.

Je suis parfaitement d'accord.

Il y a cinq ans, Raymond Ellis a été assassiné en plein milieu d'un bar. Ses assassins se sont mis à 50 pour le tuer. Ils l'avaient pris pour un membre d'un gang rival. Quand ils ont su qu'il y avait erreur sur la personne, le jeune homme était déjà mort.

Trois ans plus tard, un adolescent a été condamné pour ce meurtre.

On a ensuite accusé les cinq adultes. Leur procès était commencé devant jury depuis quelques semaines quand la juge Bourque y a abruptement mis fin.

La juge estimait que l'avocat de la Couronne, Louis Bouthillier, avait commis des gestes d'une telle gravité qu'il fallait non seulement faire avorter le procès, mais décréter la suspension définitive du processus.

Autrement dit, l'équivalent d'un acquittement, sans possibilité de reprendre le procès.

La charte des droits prévoit en effet que, en cas de violation des droits fondamentaux d'un accusé, celui-ci peut obtenir réparation. Dans les cas les plus graves, quand l'intégrité du système judiciaire est en cause (par exemple, si la police a fabriqué de la preuve), il arrive qu'on décrète cette suspension définitive.

Quel était donc le «crime» de l'avocat Bouthillier? Son témoin principal, un dénommé Dragon, avait retourné sa veste. On soupçonnait qu'il avait été corrompu. Me Bouthillier a demandé à interrompre son interrogatoire «pour se préparer». En vérité, il voulait obtenir un délai pour renvoyer le témoin en prison afin qu'un agent de la police lui extirpe des aveux.

Surtout, Me Bouthillier a présenté au témoin une note trouvée sur lui qui suggère qu'il a été corrompu. Or, la juge Bourque avait explicitement dit que cette note (douteuse, d'ailleurs) ne pouvait être admise en preuve sans débat. Prenant tout le monde de court, l'avocat l'a fait lire par le témoin devant le jury. Le mal était fait.

Ces procédés sont inacceptables, reconnaît la Cour d'appel. Ils justifiaient qu'on fasse avorter le procès. Mais il fallait le recommencer, et non décréter une suspension définitive.

Cette affaire sera donc reprise avec un autre avocat de la poursuite, ce qui n'est que justice.

Pour joindre notre chroniqueur: yves.boisvert @lapresse.ca