La semaine dernière, le directeur général de la Ville de Montréal a écrit ceci au ministre des Affaires municipales: «Je tiens cependant à vous rassurer que seuls les courriels résidant sur le serveur Lotus Notes de la Ville et qui sont relatifs à la gestion administrative du vérificateur de la Ville ont été consultés.»

On ignore sur quelle base Louis Roquet a fait cette affirmation, mais ce n'est pas la vérité.

Ce que dit le vérificateur général de la Ville de Montréal, preuves électroniques «irréfutables» à l'appui, c'est que des centaines de courriels de son bureau ont été ouverts, consultés et copiés. Et pas seulement des courriels touchant sa gestion des dépenses.

On sait que c'est la raison officielle de cet espionnage électronique: une plainte anonyme a dénoncé certaines pratiques du VG Jacques Bergeron.

Fort de ce prétexte, le contrôleur de la Ville s'est autorisé une vérification des courriels de M. Bergeron, qui s'est étendue de mars 2010 à janvier 2011, quand ce dernier s'est rendu compte qu'on l'épiait.

Dans le rapport qu'il dépose au conseil municipal, M. Bergeron dit que certains des courriels consultés par l'équipe du contrôleur de la Ville, Pierre Reid, touchent des sujets «hautement confidentiels», certains concernent des vérifications en cours et ils n'ont «rien à voir avec la gestion administrative de Jacques Bergeron».

Il a les preuves documentaires pour le démontrer. Notamment les 330 documents et un disque de 9 gigaoctets remis par Reid lui-même au VG, quand ce dernier a exigé de récupérer les données copiées.

Voilà qui est irréconciliable avec l'affirmation du directeur général de la Ville.

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Le rapport, dévoilé jeudi par le collègue Gabriel Béland, nous laisse croire ce qu'on soupçonne depuis le dévoilement de cette affaire: des gens à la Ville veulent la tête de Jacques Bergeron et sont partis à la chasse aux informations nuisibles. Le but étant de monter un dossier contre lui.

Il n'y a pas de doute que le VG doit lui aussi rendre des comptes. Mais des allégations d'accrocs aux règles ne donnent pas le droit à la Ville d'espionner les échanges confidentiels de celui qui la vérifie en toute indépendance.

Pourquoi, donc, le maire ou le directeur de la Ville ne congédient-ils pas Pierre Reid, maître d'oeuvre de cette opération d'espionnage?

Parce que cette illégalité commise par leur police interne ne les émeut pas le moindrement. Parce qu'ils détestent Jacques Bergeron - c'en est rendu personnel.

Mais aussi, tout simplement, parce qu'on savait que Reid enquêtait sur le VG. La Ville affirme que le maire Tremblay et le directeur Roquet n'étaient pas au courant des lectures de courriels.

Admettons que M. Roquet ne connaissait pas les détails de l'enquête. J'ai mes doutes, mais admettons-le pour l'instant. On ne me fera pas croire que le directeur général de la Ville ignorait que son responsable de la sécurité enquêtait sur le vérificateur - sans se soucier des moyens, disons. C'est tout simplement invraisemblable. Si le contrôleur est au courant d'allégations concernant le VG, il doit le dire, non?

Partant de là, on comprend que le maire et le directeur général aient refusé d'adresser le moindre blâme au responsable de ce dérapage policier. Pour eux, le problème, c'est Bergeron, pas Reid! Alors, tous les moyens sont bons, apparemment.

Le maire Tremblay renvoie tout le monde dos à dos et garroche le problème à Québec. C'est plus simple que de répudier son directeur général et son contrôleur. Avec un peu de chance, ils s'en tireront avec une réprimande, vu le supposé «trou» dans la loi.

En attendant, on constate que le VG a été obligé de gaspiller des heures et des heures à enquêter sur cette fuite de documents confidentiels.

On constate qu'après avoir remis plusieurs documents obtenus illégalement, le bureau de Pierre Reid refuse d'envoyer une lettre au VG attestant qu'il n'a rien gardé de ce qu'il a intercepté.

Le VG exige maintenant de déménager, ou que le contrôleur déménage, ne pouvant plus tolérer d'être dans le même immeuble. On le comprend...

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Voilà une situation intenable, absurde, qui fera perdre temps et argent à la Ville. Comment travailler dans les circonstances?

Tant la gravité des gestes des sbires de Reid que le ton colérique de ce rapport confirment un état de crise qui appelle de toute urgence une intervention de Québec. Le maire Tremblay, pathétique, l'a lui-même réclamée.

Alors, écoutons-le: que le gouvernement dépêche un émissaire pour démêler cette situation absurde au plus vite. Entre-temps, on est devant un vérificateur plus ou moins neutralisé et une administration discréditée - encore plus.