Que ce soit pour éviter une commission d'enquête ou pour tout autre motif bassement ou hautement politique, cette Unité permanente anticorruption est une bonne idée.

Avant de dire pourquoi c'est une bonne idée, faisons quatre observations.

Premièrement: il faut que cette organisation ait des pouvoirs bien ancrés dans la loi. Pouvoir de contraindre les employés à dévoiler les gestes illégaux ou déviants. Pouvoir de protection des témoins. Pouvoirs d'enquête et d'accès à l'information.

Deuxièmement: il faut voir quel sera exactement le statut du commissaire. Ses garanties d'indépendance.

Troisièmement, et c'est peut-être le plus important: qui sera le commissaire? La plus formidable des structures ne vaut rien si elle est dirigée par un incapable ou un faible. On pense à quelqu'un qui aurait une totale indépendance d'esprit. Une intégrité inattaquable. Une autorité morale. Une connaissance juridique approfondie. Serge Ménard est écarté, on le sait maintenant. On pense à un Gilles Ouimet, bâtonnier du Québec, criminaliste réputé, coauteur d'un Code criminel annoté qui fait autorité, ex-procureur fédéral. Ce genre de profil.

Quatrièmement: que le gouvernement ne veuille pas de commission d'enquête publique, ça, on le sait, et ça se comprend. Mais que le ministre de la Sécurité publique ne vienne pas nous dire qu'on a le choix entre une commission publique OU de possibles accusations. Ce n'est pas vrai.

Hier, en entrevue et en conférence de presse, le ministre Robert Dutil a affirmé que les témoins devant une commission d'enquête obtiennent l'immunité. C'est vrai à moitié: ils ont l'immunité pour leur témoignage. Ça veut dire que, s'ils avouent un crime pendant leur témoignage, on ne peut pas s'en servir pour les accuser. Ça ne veut pas dire que, une fois le crime avoué, il est impossible de les accuser.

Il n'y a qu'à penser à Jean Brault et à d'autres témoins devant la commission Gomery: ils ont fait face à la justice criminelle. Mais parce qu'on a pu recueillir des preuves par ailleurs.

Tout ça pour dire qu'une commission d'enquête n'empêche nullement d'accuser par la suite ceux qui sont venus y témoigner.

Les raisons qui militaient hier pour la tenue d'une telle commission sont encore présentes aujourd'hui: exposition des systèmes de corruption, pression sur le milieu criminel, renforcement de l'hygiène démocratique et encouragement de témoins autrement silencieux.

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Cela dit, en quoi une telle unité est-elle une bonne idée?

Parce qu'elle met en commun des expertises qui convergent dans un but commun: combattre la corruption dans les marchés publics.

L'exemple de New York est particulièrement bien choisi, même s'il est «municipal».

Un exemple. La semaine dernière, les gens de New York ont appris qu'un consultant impliqué dans une histoire de pot-de-vin avait plaidé coupable discrètement à des accusations de fraude et de corruption.

L'homme fait partie d'un groupe accusé d'avoir soudoyé des employés municipaux pour obtenir un contrat de 80 millions pour l'installation d'un système électronique de gestion des horaires à la Ville.

Plus intéressant: l'homme a décidé de «collaborer» avec la justice. Il obtiendra probablement une peine plus clémente, en échange de quoi il fera tomber des têtes pourries dans l'administration publique et dans le secteur privé.

Ce n'est que la dernière opération publique du bureau de la commissaire aux enquêtes de la Ville de New York, Rose Gill Hearn, qui dirige depuis 10 ans le Department of Investigation (DOI).

Mme Gill Hearn est venue à Québec, le mois dernier, pour s'entretenir avec le ministre de la Sécurité publique, Robert Dutil, de cette institution new-yorkaise.

Le DOI, comme on sait, a servi de modèle à l'Unité permanente anticorruption annoncée hier. Est-ce un modèle valable? Assurément. Est-ce qu'il a mis fin à la corruption à New York? Assurément pas.

Cette institution existe depuis... 1873. Elle a été créée après un énorme scandale de corruption. Et, 138 ans plus tard, il n'est pas question de fermer boutique, à moins d'une réforme prochaine et inattendue de la nature humaine.

L'idée est de compliquer la tâche des magouilleurs en tout genre, de leur opposer une résistance organisée et compétente - de leur faire peur, en somme. Pour limiter le plus possible les déviances... tout en sachant qu'elles vont toujours surgir.

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L'idée est aussi de regrouper des expertises diverses sous le même toit: enquêtes criminelles, enquêtes sur les contrats municipaux, enquêtes fiscales, analyses économiques, surveillance des chantiers, etc.

Le DOI a des pouvoirs étendus d'enquête et n'a pas besoin d'un mandat de perquisition pour ouvrir les livres des organismes municipaux. Plusieurs avocats et enquêteurs d'expérience y travaillent. La loi a créé une obligation de collaboration pour les fonctionnaires et, en retour, une protection pour les dénonciateurs.

Et si elle est nommée par le maire, la commissaire est confirmée à son poste par le conseil municipal. La durée de son mandat est indéterminée, tant qu'elle remplit bien ses fonctions.

La commissaire n'a pas elle-même le pouvoir de porter des accusations: c'est un organisme d'enquête et de coordination des enquêtes. Une fois le dossier bouclé, s'il y a lieu, il sera transmis à un procureur de l'État ou fédéral, ou tout simplement aux autorités municipales, selon le délit.

En même temps, le DOI donne plus de 600 conférences dans les divers services de la Ville pour parler de corruption, d'éthique publique, de son travail, de la manière de dénoncer les abus, etc.

C'est donc un organisme absolument intégré à la vie municipale et qui dit à tout le monde: nous prenons l'intégrité au sérieux.

Si vraiment on entend mettre le budget, les énergies et les bonnes personnes pour faire au Québec ce que fait New York, on ne peut qu'applaudir.