En novembre 2007, la Ville de Gatineau a destitué sa vérificatrice générale, Sophie Lachance. La Ville avait monté tout un dossier.

Ses péchés?

Elle avait acheté des fleurs (66,71$) à son adjointe pour son anniversaire, ainsi qu'un chèque-cadeau pour un spa (75,62$), pour la remercier de ses nombreuses heures supplémentaires non payées. Cela, à même l'argent de son service.

Elle avait facturé un dîner avec son père (48,29$). L'homme l'avait aidée à ses débuts en lui donnant des heures de conseils, sans jamais être rémunéré.

Il faut dire que l'homme s'y connaît en la matière puisqu'il est comptable et fait de la vérification.

On lui reprochait également d'avoir payé avec l'argent de la Ville des billets pour un gala-bénéfice (300$), une valise pour son ordinateur (215,94$), un repas de travail avec le comité de vérification (664,65$), une contravention (130$) ...

Elle avait utilisé la carte de la Ville pour des dépenses personnelles mais les avait remboursées. On disait qu'elle avait menti aux enquêteurs externes d'une firme comptable en disant qu'elle avait fait exprès de ne pas payer tout de suite sa contravention pour vérifier l'efficacité des services de recouvrement de la Ville.

Bref, tout un tas de petits trucs «inappropriés» qui, mis ensemble, dressaient un portrait sombre, accablant même, selon la Ville.

Peu après ce congédiement, on a appris dans Le Droit que Mme Lachance était en train d'enquêter sur la gouvernance du bureau du maire depuis deux mois.

Avait-on monté un dossier contre elle en représailles?

Au contraire, avait-elle lancé son enquête en sachant qu'on allait l'attaquer? L'enquête sur ses dépenses avait commencé à l'hiver, donc bien avant la sienne, après tout.

Quoi qu'il en soit, la jeune femme a contesté sa destitution devant la Commission des relations du travail (CRT). Conclusion: la Ville a scruté tous les gestes de sa vérificatrice et «rassemblé et habilement présenté une liste de vétilles» qui ne justifient aucunement sa destitution. S'il y a des décisions discutables, les sommes en jeu ne sont pas importantes et il n'y a aucune trace de malhonnêteté là-dedans: «Peccadilles, souvent sans fondement.» (La CRT fait cependant erreur en affirmant que le père de Sophie Lachance est Renaud Lachance,  vérificateur général du Québec).

Il va de soi que le poste de vérificateur général est accompagné d'une «certaine autonomie administrative, visiblement pour lui assurer un minimum d'indépendance» par rapport à l'Administration.

La CRT a donc forcé la réembauche de Mme Lachance en juin 2008 et le versement des six mois de salaire qu'elle avait perdus.

On se doute que l'atmosphère était pourrie à son retour. Un mot d'ordre avait été donné par le directeur général de ne donner suite à aucune demande de la VG... qui, de son côté, avait relancé son enquête sur le bureau du maire.

Au mois d'août 2008, elle a quitté son poste avec une indemnité de 18 mois et est allée travailler pour l'AMT.

Cette affaire n'est pas si différente de ce qui se passe à Montréal. Il est dans l'ordre des choses que les rapports entre un vérificateur et l'administration qu'il scrute soient tendus. Les villes trouvent souvent les vérificateurs trop soupçonneux, pointilleux, empêcheurs d'aller vite.

Mais il n'est évidemment pas normal que la Ville puisse enquêter sur lui à sa guise, ouvrir ses courriels, même pour de bonnes raisons.

À l'époque, l'avocat de Mme Lachance, Barry Landy, avait appelé à un changement dans la loi, pour mieux protéger les vérificateurs des menaces d'intimidation des villes.

Rien n'a été fait. Cette semaine, le ministre des Affaires municipales du Québec, Laurent Lessard, devant l'affaire du VG de Montréal, nous annonce qu'il veut changer la loi pour mieux protéger l'indépendance des VG dans les villes. Heureux réveil.

À l'heure où se multiplient les allégations sur la mauvaise gestion, le favoritisme sinon carrément la corruption, au Québec, l'institution du Vérificateur général dans les villes doit être protégée.

Ce qui ne veut pas dire qu'il soit au-dessus des contrôles. Mais ces contrôles doivent se faire de manière ordonnée, transparente. Pas selon l'inspiration de l'administration locale. Il faut des motifs sérieux pour destituer un VG, en poste pour un mandat non renouvelable de sept ans.

Quand on lit, dans le texte d'André Noël publié hier, que le contrôleur Pierre Reid avait installé une caméra de surveillance devant la porte du bureau du VG de la Ville de Montréal, on croit rêver.

Qu'est-ce que c'est, sinon de l'espionnage? Du contrôle des sources? Quels étaient ses motifs?

Dans le contexte de dégradation qu'on a connu à l'hôtel de ville depuis quelques années, on peut craindre trop de coups fourrés, de vengeances et de mesures de rétorsion pour tolérer ces manoeuvres.

Il est donc plus que temps que la loi consacre clairement l'indépendance de tous les vérificateurs.