On devine que la pression doit être insupportable pour que le président de la FTQ réclame une commission d'enquête sur la construction (et sur les contrats municipaux, et sur le financement politique, et sur les ratons laveurs... Il ratisse large!).

La construction, c'est un peu l'industrie de la FTQ. Une commission d'enquête sérieuse sur cette industrie va inévitablement éclabousser des gens actuels ou passés de la plus grosse centrale syndicale au Québec. On n'a qu'à penser aux liens douteux qu'entretenaient d'ex-dirigeants de la FTQ-Construction avec des membres du crime organisé. À l'argent cash qui circule. Et à la présence du crime organisé.

L'ancien directeur de la FTQ-Construction, Jocelyn Dupuis, a réussi à obtenir une indemnité de départ de 140 000$, quand on s'est enfin décidé à le mettre à la porte, en 2009. Et cela, même si on lui reprochait des dépenses pharaoniques. Il devait avoir une certaine force...

Dupuis est présentement accusé de fraude en cour criminelle.

Il ne faut pas s'imaginer qu'à l'intérieur de la FTQ-Construction, les gens sont indifférents. «Les travailleurs doivent être écoeurés, je n'en doute pas une seconde, de voir leurs cotisations servir à une personne qui s'est mis la main dans le pot», avait dit un ancien directeur de la FTQ-Construction, Yves Paré, l'an dernier, furieux devant la dérive de son ancien syndicat.

Dans les autres syndicats de cette fédération, on n'était pas nécessairement content non plus de voir le président Michel Arsenault être presque la seule personnalité publique à soutenir un tant soit peu la position de Jean Charest. Le SCFP, très présent dans les municipalités, est favorable à la tenue d'une enquête.

Alors comme le congrès de la FTQ arrive à grands pas, M. Arsenault avait tout intérêt à satisfaire ses troupes. Ce n'est peut-être pas seulement «l'évolution de la situation» qui a causé cette soudaine conversion.

C'est d'autant plus intéressant que les dirigeants de la FTQ ont été historiquement très près de plusieurs dirigeants des sociétés de construction au Québec. M. Arsenault ne fait pas exception. On connaît maintenant ses liens d'amitié avec un des rois de la construction au Québec, Tony Accurso. M. Arsenault s'en est expliqué et a dit que cette amitié était vieille de 20 ans. On sait qu'il est allé séjourner sur son yacht. Il a été vu également au club privé de Daniel Langlois (357C) où il a partagé un souper bien arrosé avec M. Accurso à la même époque.

Ces liens personnels avec un entrepreneur aussi important en indisposent plus d'un dans le milieu syndical. D'un côté, en tant que président du conseil d'administration du Fonds de solidarité, il n'est pas anormal qu'il entretienne des liens «d'affaires» - le fonds a déjà investi dans les sociétés de M. Accurso, avec succès. De l'autre, il est tout de même président de la plus importante centrale syndicale au Québec, donc un représentant des travailleurs. Tous les membres ne voient pas d'un oeil favorable cette proximité. L'enquête sur la Gaspésia a mis en relief les missions potentiellement conflictuelles du Fonds et de la FTQ.

Malgré cela, et malgré le poids de la FTQ-Construction (70 000 membres), M. Arsenault s'est rangé hier dans le camp de ceux qui exigent une enquête publique sur la corruption dans l'industrie de la construction. C'est un message lourd de conséquences et une bonne nouvelle en même temps.

Ce n'est pas seulement une autre voix qui vient s'ajouter à la liste des «pour». Claudette Carbonneau peut bien réclamer une enquête, la CSN n'est pas un acteur dominant dans le domaine. Mais M. Arsenault, à cause de ses liens avec des entrepreneurs, à cause de son rôle au Fonds de solidarité, à cause de l'importance de la FTQ-Construction, est un poids lourd.

Ce changement de cap laisse donc Jean Charest assez isolé. Combien de temps pourra-t-il résister encore?

Il ne lui reste plus qu'à enclencher le processus de manière ordonnée. D'abord identifier un ensemble de sujets urgents d'étude. Ensuite nommer une personne crédible pour rédiger un mandat d'enquête... ou des mandats d'enquête. Le cartel de la construction, les contrats municipaux, le financement des partis, et la corruption en général sont autant de faces de la crise démocratique au Québec en 2010. Mais faut-il les étudier dans un seul bloc? Pas sûr.

Mais c'est plus clair que jamais: l'heure du ménage a sonné.