Un homme de 73 ans s'avancera ce matin devant un juge pour demander qu'on répare une injustice commencée il y a 49 ans.

Il s'appelle Réjean Hinse. Il a été condamné en 1964 à 15 ans d'emprisonnement pour un vol à main armée commis à Mont-Laurier le 14 décembre 1961. Il a purgé cinq ans de prison. En 1989, après des années d'acharnement, il convainc la Commission de police de se pencher sur son cas. Conclusion: il a été victime d'une enquête «pourrie» et a été mal défendu dans un procès inéquitable.

Cette décision lui permet, en 1991, de s'adresser à la Cour d'appel, qui casse le verdict de culpabilité 30 ans après les faits et décrète l'arrêt du processus judiciaire. Vu le temps écoulé, on ne pourrait pas tenir un nouveau procès.

Mais Hinse n'est pas satisfait: il veut être acquitté. La Cour suprême refuse d'entendre sa cause. Il écrit au juge en chef Antonio Lamer. Le juge Lamer se ravise et accepte de l'entendre. À l'unanimité, sept juges de la Cour suprême l'acquittent en janvier 1997, 35 ans après les faits.

Malgré les erreurs qui ont entouré sa condamnation, malgré l'acquittement, Québec refuse toujours de reconnaître qu'il y a eu faute.

Un procès d'un mois s'ouvre donc ce matin, dans lequel Réjean Hinse devra prouver son innocence, 49 ans après les faits. Du moins, il entend démontrer qu'il a été victime d'une enquête fautive et de l'obstination du gouvernement à ne pas reconnaître ses torts. Il réclame 8 millions de dollars. Québec réplique que les policiers étaient de bonne foi et que la poursuite est tardive.

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Cette affaire pose une nouvelle fois la question de la compensation des erreurs judiciaires au Québec. Alors qu'ailleurs au Canada on a vu des commissions mises sur pied ou des experts nommés pour évaluer les compensations à verser aux victimes d'erreur judiciaire, tout se passe comme s'il n'y en avait pas au Québec.

Dans l'affaire Simon Marshall, à Québec, où une preuve d'ADN a prouvé que ce déficient mental n'avait pas commis le crime qu'il avait avoué, Jacques Dupuis avait commandé un rapport à l'ancien juge Michel Proulx, pour déterminer la compensation à verser.

Mais à part ce cas, le système ne semble pas se reconnaître d'erreur et oblige les victimes de condamnations mal fondées à démontrer hors de tout doute leur innocence. Sauf que plus l'enquête a été mal faite, plus cette preuve est difficile à faire des décennies plus tard.

Le procureur général répondra à cela que Réjean Hinse n'est tout simplement pas «innocent». Le manque de preuve justifie l'acquittement, mais ne prouve pas l'innocence. On craint évidemment d'ouvrir trop grand la porte à la compensation pour tous les acquittés. On ne peut pas dire pour autant qu'on a abusé, de ce côté, depuis 25 ans...

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Le 14 décembre 1961, cinq voleurs entrent dans la maison d'Henriot Grenier et de sa femme, à Mont-Laurier. Ils les battent et leur volent 4200$.

Cinq jours plus tard, Réjean Hinse se présente au poste de police de l'endroit pour récupérer le certificat d'immatriculation de sa voiture. Grenier, qui vient voir les enquêteurs régulièrement, le croise. Il est convaincu de reconnaître un de ses agresseurs. Hinse est arrêté et accusé.

Hinse jure qu'il n'a jamais mis les pieds à Mont-Laurier. S'il y est venu, c'est à cause de sa voiture... Que fait sa voiture à Mont-Laurier? Il l'a vendue deux semaines plus tôt à un dénommé Beausoleil, un voleur qu'il fréquente à Montréal. À l'époque, Hinse fraye dans les salles de billard et les tavernes de Montréal. Il a quelques petits coups à son casier.

Beausoleil a acheté la Cadillac 1954 de Hinse, mais à condition de l'essayer. Il a un plan: se rendre à Mont-Laurier avec des complices pour repérer la maison de M. Grenier. On leur a dit qu'il garde des milliers de dollars dans un coffre-fort.

Manque de chance, la vieille Cadillac étouffe net 10 km avant l'arrivée. Ils la laissent chez un garagiste, disant qu'ils reviendront. Une semaine plus tard, le garagiste n'a pas de nouvelles. Croyant la voiture volée, il va porter les papiers à la police de Mont-Laurier.

Cinq jours après le vol, Beausoleil accompagne Hinse pour récupérer la voiture. Ils se font dire d'aller chercher les papiers à la police. Hinse est donc arrêté, tout comme Beausoleil, qui l'attend au garage.

Henri Courtemanche, l'avocat de Réjean Hinse, a été ministre dans le cabinet Diefenbaker et est devenu sénateur conservateur en 1960. C'est une célébrité à Mont-Laurier, mais son étoile vient de pâlir: il a été obligé de démissionner du Sénat quand on a su qu'il touchait 10% du prix de la vente de terres fédérales. Des honoraires de lobbyiste, dira-t-il.

Hinse convoque en Cour les auteurs du coup pour qu'ils viennent dire qu'il n'y était pas. Mais son avocat ne les fait pas entendre.

Hinse est finalement déclaré coupable et, dit-il, son avocat a négligé d'interjeter appel. Il se met à écrire des lettres. Plein de lettres. À des avocats, à des ministres, à des témoins, pour se faire innocenter.

Des années plus tard, trois des cinq voleurs déclarés diront que Réjean Hinse n'y était pas. Un des policiers admettra s'être «trompé» lorsqu'il a dit sous serment que Hinse avait été aperçu avec les voleurs à Mont-Laurier trois mois avant le vol. Hinse l'accuse plutôt de s'être parjuré à plein.

Les Grenier, eux, n'en ont jamais démordu: ils le reconnaissaient, même s'ils ont peu vu leurs agresseurs. Sauf que le catalogue des erreurs judiciaires est rempli de cas de fausses identifications, faites de bonne foi par les victimes.

Depuis qu'il est sorti de prison, il y a 41 ans, Réjean Hinse n'a plus été réaccusé. Il a refait sa vie, il a eu des enfants et a travaillé comme tuyauteur. Son sentiment d'injustice ne s'est pas apaisé pour autant. Il attend encore réparation.

Photo: Ivanoh Demers, Archives La Presse

Réjean Hinse veut que le gouvernement du Québec reconnaisse qu'il a bel et bien fait une erreur judiciaire en le condamnant en 1964 à 15 ans d'emprisonnement. La Cour d'appel avait déjà cassé le verdict de culpabilité en 1991.