Il ne faut pas bouder son plaisir, je sais. Mais jusqu'à quel point faut-il se réjouir d'un jugement qui ne fait que redire ce qu'on pensait savoir depuis 15 ans au moins?

Car enfin, si le juge Jean-François de Grandpré, de la Cour supérieure à Montréal, n'avait pas si grossièrement nié la liberté de la presse dans l'affaire Polygone, on n'aurait pas eu besoin de ce jugement de la Cour suprême pour en recoller les morceaux.

On peut tout de même se réjouir. Désormais, plus aucun juge ne pourra rejeter d'un revers de main une demande de protection d'une source confidentielle. Le jugement rendu hier, s'il ne dit rien d'extraordinairement nouveau, le dit clairement et une fois pour toutes. C'est sa grande vertu: il est pédagogique.

Depuis de nombreuses années, des juges au Québec comme ailleurs au Canada reconnaissent que les journalistes peuvent refuser de dévoiler l'identité d'une source d'information. Mais une sorte de flou juridique flottait dans l'air. Les décisions se suivaient et ne se ressemblaient pas tellement. On a fini par se retrouver devant un ramassis assez hétéroclite allant du très favorable au carrément hostile à la notion de protection des sources.

Nous avons maintenant un très raisonnable mode d'emploi judiciaire.

«Les tribunaux ne devraient contraindre un journaliste à rompre une promesse de confidentialité faite à une source qu'en dernier recours», a écrit hier le juge Louis LeBel, au nom des neuf juges - unanimes. Même au Québec, pays de droit civil, le «test de Wigmore» s'applique pour décider si une source peut être confidentielle. C'est un test en quatre points qui vise à examiner, au fond, s'il y a un réel intérêt public à préserver l'anonymat d'une source.

Car évidemment, aucun témoin n'a le droit de refuser de répondre à une question pertinente devant la Cour. Ce serait trop facile de se défiler, et la justice pourrait difficilement fonctionner. Il faut donc que l'anonymat de la source soit plus important socialement que la divulgation de l'information pour l'administration de la justice.

On pourrait être déçu de voir que la Cour suprême n'a pas décidé concrètement si Daniel Leblanc peut taire l'identité de MaChouette, la source gouvernementale à l'origine des révélations sur le scandale des commandites dans The Globe and Mail.

Mais la raison est simple: le juge de Grandpré n'a même pas permis le débat sur cette question. «J'ai fait vite, vite, vite l'analyse des quatre critères de Wigmore et puis j'en viens à la conclusion que, dans les circonstances, c'est préférable que la preuve entre dans le dossier», a-t-il dit tout bonnement quand l'avocat du Globe a soulevé l'objection. La Cour suprême vient de dire que cette conclusion «vite, vite, vite» n'est pas une analyse...

Quoi qu'il en soit, l'empressement du juge de Grandpré à ne pas reconnaître la confidentialité de la source a fait en sorte que le Globe n'a fait aucune preuve de l'importance capitale de protéger MaChouette. L'affaire est donc renvoyée au juge de la Cour supérieure.

Je rappelle l'origine de tout cela: le gouvernement fédéral réclame depuis 2005 le remboursement de 60 millions à la firme Polygone pour des sommes perçues frauduleusement dans le cadre du programme des commandites. Polygone prétend que la poursuite est tardive car le gouvernement savait avant 2002 (dépôt du rapport de la Vérificatrice générale) qu'il y avait eu fraude. La preuve, dit Polygone: MaChouette est haut placée au gouvernement et a donné de l'information à un journaliste. D'où cette tentative de savoir qui elle est pour prouver qu'il y a prescription.

Si on lit attentivement les principes énoncés hier par la Cour suprême pour guider le juge qui en décidera, il n'y a pas tellement de doute que cette source demeurera confidentielle.

Parmi les critères à considérer, il y a l'importance de la nouvelle pour le public. À ce chapitre, on peut difficilement trouver mieux qu'une nouvelle sur l'utilisation frauduleuse et organisée des fonds publics et le financement politique illégal - ce qu'est le scandale des commandites.

Non, la Cour suprême ne reconnaît pas de «secret professionnel» du journaliste, et avec raison. Il faudrait pour cela un ordre professionnel des journalistes.

C'est plutôt une approche pragmatique, au cas par cas, mais avec des principes bien assis que la Cour a réaffirmée. Tant mieux.

Que le message se rende à tous les magistrats...