Peu importe ce qu'on trouvera dans les entrailles de la disquette de Marc Bellemare, l'essentiel est déjà sur la table: la nomination des juges est loin d'être imperméable au favoritisme politique.



Car en bout de piste, que le commissaire Bastarache croie Marc Bellemare, sa disquette, ses deux stylos et les Post-it providentiels de son sous-ministre, ou Jean Charest, son agenda et ses organisateurs, ça ne changera pas grand-chose.



C'est-à-dire que ça changera plein de choses pour ces deux-là. Mais sur le fond cosmique de l'affaire, on est déjà pas mal fixé.

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Il était déjà de commune renommée que le parrainage politique joue un rôle dans la nomination des juges. On a maintenant le film.

Résumons-nous. Deux ministres croient utile de sensibiliser leur collègue de la Justice à la candidature de quelqu'un. Un financier fait la même chose pour un ancien collègue de classe. La responsable des nominations au bureau du premier ministre, Chantal Landry, militante libérale de longue date, reçoit du ministre de la Justice la liste des candidats sélectionnés, avec son choix. Elle montre ça au premier ministre, C.V. à l'appui. Il lui renvoie le tout avec sa suggestion.

Mme Landry nous dit aussi que, dans deux cas, le ministre de la Justice n'ayant pas fait de choix, elle a consulté l'ancien titulaire, Jacques Dupuis, qui connaît bien le milieu.

Et puis, quand elle avait l'information, elle écrivait à l'intention du premier ministre une note sur l'allégeance politique du candidat.

Pourquoi noter l'allégeance politique, Mme Landry? C'est comme ça.

Voilà, décrit très simplement, le mécanisme de l'influence politique dans la nomination des juges.

Il n'y a pas d'enveloppes brunes. Il n'y a pas de sombre complot. Les candidats retenus par le comité de sélection sont tous compétents.

Mais s'ils n'ont pas un quelconque appui politique, ces gens tous compétents resteront probablement cela: un nom sur une liste.

Des gens ont trouvé Mme Landry bien oublieuse. Je ne vois pas ce qu'il y a d'étonnant dans le fait qu'elle ne se souvienne pas de la vaste majorité des 800 personnes nommées sous sa supervision chaque année. Je l'ai trouvée bien transparente. Elle nous a très simplement expliqué comment un réseau informel libéral se communique de l'information.

À la fin, il y a parfois une note sur le dossier du premier ministre: «Libéral.»

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Que voulez-vous de plus? Une cagoule, une armoire à double fond, un compte de banque en Suisse?

Voilà, dans la vie, comment on devient juge. On vous sélectionne si vous êtes apte et, après, quelqu'un dit un bon mot pour vous. Pas toujours. Et pas nécessairement parce que vous êtes libéral depuis trois générations - ou péquiste, car ce système, sauf ses détails, n'est pas nouveau.

Il arrive au ministre, au premier ministre, de s'enthousiasmer pour un candidat qui n'a jamais fait de politique. Eh oui, juste parce qu'il est excellent de commune renommée. On a même vu Jean Chrétien nommer des péquistes - pas des masses, rassurez-vous.

Si vous rencontrez tous ces gens et leur dites qu'il faut réformer le système, ils vous regardent avec le plus grand étonnement. Comment? Les juges? Voilà bien quelque chose de sacré. Au moins, ça, le gouvernement le fait bien! Oui, bon, à candidat égal... Il arrive, certains jours creux, à Baie-Comeau... Mais ce n'est pas un crime d'être libéral, ou le cousin d'un libéral, n'est-ce pas? Faut pas tomber dans le purisme et l'angélisme!

La meilleure preuve de cet état d'esprit est la création même de cette commission d'enquête. Pensez-vous que Jean Charest l'aurait déclenchée s'il avait craint qu'on y découvre de terribles vérités sur la nomination des juges?

Pour lui, tout va bien, il veut sûrement d'excellents candidats, beaucoup de femmes, de la diversité, etc. Amenez-en, des questions, tout va bien. Il est fier. Y en a pas, de problème!

Et pourtant, oui, il y en a. Pas dans les histoires de Marc Bellemare (qui répète d'ailleurs que le système est excellent sauf les trois incidents qu'il soulève). Le problème est dans le très banal mécanisme de favoritisme politique.

En ce qui me concerne, il est amplement prouvé, établi. Merci, monsieur le commissaire, je n'ai plus de questions.

Ce gouvernement aura-t-il le courage de le réformer? Il s'agit ici de l'indépendance de la magistrature et de la confiance du public.