Sitôt connue l'accusation contre le juge retraité Jacques Delisle, il a été question de «meurtre par compassion».

Plein de gens voudraient penser que l'homme de 75 ans a tué sa femme handicapée, Nicole Rainville, pour la soulager. Dans le langage populaire, le «meurtre par compassion» est en effet un homicide moralement acceptable parce qu'il est commis aux dépens d'une personne souffrante, qu'on suppose aimée du meurtrier.

Samedi, M. Vito Bucari, qui dirige un groupe de relève pour les personnes aphasiques, a écrit dans La Presse qu'il refuse de voir l'accusé comme «un monstre qui a prémédité le meurtre de sa femme et l'a sournoisement perpétré».

 

Quand un conjoint subit un AVC, comme ce fut le cas de Nicole Rainville, l'autre conjoint est également une victime, de dire M. Bucari. C'est indéniable et de nombreux proches de Jacques Delisle l'ont dit: il a été bouleversé par l'accident de sa femme et en a pris soin de manière admirable.

Mais la mort violente de Nicole Rainville n'est absolument pas due à un «meurtre par compassion». D'abord, parce qu'une telle chose n'existe pas. Et deuxièmement... parce que le juge Delisle lui-même récuse cette théorie!

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On ne peut pas dévoiler le résumé de la preuve présenté la semaine dernière lors de sa demande de mise en liberté. Mais dans sa requête publique rapportée par les médias, le juge Delisle a été on ne peut plus clair: «J'ai un fort désir de vivre et d'établir mon innocence au procès.»

Pour la défense, il s'agit d'un suicide, point.

L'accusé nie donc avoir quoi que ce soit à voir avec la mort de sa femme, par compassion ou autrement. Ceux qui, par sympathie, voudraient en faire une victime collatérale de la maladie de sa femme se trouvent à lui mettre l'arme du crime entre les mains. Il n'en demande pas tant!

De deux choses l'une, donc. Ou bien Mme Rainville s'est suicidée, et alors on a accusé le juge Delisle à tort.

Ou alors il s'agit bel et bien d'un meurtre, mais déguisé en suicide. On pourra tenter d'en deviner le mobile, s'il y a lieu, mais on serait très, très loin d'un acte de compassion et altruiste.

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Aider quelqu'un à mettre fin à ses jours volontairement est un suicide assisté. C'est encore un crime au Canada et il n'y a aucune porte juridique ouverte de ce côté. Dans les rares pays où c'est permis, cela se fait dans un cadre médical très strict. Pas par arme à feu.

On dira que la rigueur de la loi pousse des gens à utiliser ce genre de moyens pour mettre fin à une existence insupportable. C'est possible. Mais encore faut-il que le principal intéressé exprime sa volonté. Tuer supposément «par compassion» une personne qui souffre sans lui demander son avis est un meurtre, point.

Mais encore une fois, ce n'est pas de ça qu'il s'agit dans le cas du juge Delisle. Il faudrait arrêter de lui faire plaider une cause qui le rend coupable avec explication... contre son gré!

On a affaire à un homme très atteint par la maladie de sa femme, défait, fatigué, mais pas sans ressource pour lui venir en aide. Le cas est mal choisi pour faire avancer la cause des «proches aidants».

Par ailleurs, la Cour suprême a rejeté toute défense tournant autour du concept de meurtre par compassion dans l'affaire Robert Latimer, en 2001.

Le fermier de la Saskatchewan avait mis fin aux jours de sa fille de 12 ans, lourdement handicapée, souffrante à l'extrême. C'était un homme dévoué, qui aimait son enfant et qui n'en pouvait plus de la voir mourir à petit feu. Il l'a asphyxiée. Il a été condamné pour meurtre «non prémédité» et le verdict ainsi que la peine automatique (perpétuité, 10 ans minimum) ont été maintenus. Personne n'a pensé que Latimer était «un monstre», pourtant. Mais tuer quelqu'un volontairement par un acte illégal et sans son consentement est un meurtre.

Si ce cas n'a pas ouvert de porte à une quelconque clémence juridique, celui d'un homme en santé qui aurait tué sa femme capable d'exprimer sa volonté ne réussirait évidemment pas. Encore aurait-il fallu qu'elle l'exprime, et encore aurait-il fallu qu'il s'en réclame. Latimer avait tout expliqué aux policiers et même filmé son acte.

Qu'on cesse donc de parler de «meurtre par compassion». Il n'y en a pas et l'accusé lui-même nous dit qu'il n'en est pas question. Pour l'accusé, il y a de la compassion, pas de meurtre. Et pour la poursuite, il y a un meurtre, pas de compassion.

Ce sera l'un ou l'autre, pas les deux.