La nomination de l'ancien président du PC et les rumeurs de départ du juge en chef mettent en relief les failles du système.

L'histoire du juge Jacques Léger illustre à elle seule la qualité et la faiblesse du système de nomination des juges du Canada.

Elle se passe à la Cour d'appel, plus haut tribunal du Québec. C'est elle qui entend en dernière instance toutes les affaires judiciaires de la province, sauf les rares cas entendus par la Cour suprême.

Pour cela, son juge en chef porte le titre de «juge en chef du Québec». Elle ne compte que 20 juges, qui siègent à trois, et qui comptent parmi les meilleurs juristes du Québec.

 

La plupart y ont accédé après avoir fait leurs preuves dans d'autres tribunaux, où ils ont été reconnus par leurs pairs comme les meilleurs et les plus travaillants. On y trouve d'ex-professeurs d'université qui sont des autorités dans leur domaine. Et quand on y nomme un avocat directement, c'est parce qu'il est une des étoiles du barreau.

Qu'elles soient faites par les conservateurs ou les libéraux, les nominations font généralement consensus. Un exemple récent: Jean Bouchard, que les conservateurs ont nommé à la Cour d'appel l'an dernier. Il avait été nommé juge à la Cour supérieure 10 ans plus tôt par le gouvernement Chrétien. C'est un ancien avocat du gouvernement du Québec, spécialiste reconnu des affaires constitutionnelles.

Tous ont également applaudi l'arrivée, l'été dernier, du doyen de la faculté de droit de l'Université McGill, Nicholas Kasirer, juriste d'envergure internationale. La nomination de Guy Gagnon, ex-juge en chef de la Cour du Québec, a été bien vue.

Conservateur notoire

On ne peut toutefois pas en dire autant de l'arrivée, en janvier 2009, de Jacques A. Léger. Nommé juge deux ans et demi plus tôt à la Cour supérieure par les conservateurs, personne dans le milieu ne l'avait mis sur sa courte liste de candidat potentiel pour la Cour d'appel - ni sa longue, d'ailleurs.

Quand il a été nommé juge en 2006, Jacques A. Léger avait 61 ans et était avantageusement connu dans le domaine des marques de commerce et de la propriété intellectuelle. Associé principal du cabinet d'avocats Léger&Robic, il avait été sélectionné dès 2001 comme un candidat recommandable à la magistrature fédérale.

Sauf qu'il s'agissait d'une des premières nominations des conservateurs au Canada et tous ont évidemment remarqué que Me Léger avait une autre qualité évidente: il a été président du Parti progressiste-conservateur au tournant de 2000, favorable à l'union de la droite pour former l'actuel Parti conservateur.

Longue et courte liste

La liste des candidats recommandés à la magistrature fédérale compte plus ou moins une cinquantaine de noms, qui y demeurent pendant deux ans. Me Léger a présenté sa candidature en 2001, puis en 2003 et en 2005, et est demeuré sur la liste.

D'un côté, on peut y voir l'obstination des libéraux à ne pas nommer un conservateur connu. De l'autre, l'empressement des conservateurs à nommer un des leurs.

Au-delà de ce débat éternel entre bleus et rouges, la question est de savoir s'il était le meilleur candidat pour occuper ce poste, en 2001 ou en 2006. Dans l'état actuel du système, où de 50 à 60 noms flottent sur une liste d'avocats aptes à occuper la fonction, rien ne garantit la sélection au mérite. La porte de la préférence politique est donc grande ouverte.

Son arrivée a fait murmurer, évidemment.

Pendant ses brèves années à la Cour supérieure, il a fait le travail, mais en étant loin de s'imposer comme un des leaders intellectuels. Rien qui aurait pu en faire un candidat pour la Cour d'appel.

Sauf qu'il n'y a aucun comité de sélection distinct pour la Cour d'appel. Si l'on est juge à la Cour supérieure, on est potentiellement «nommable» à la plus haute Cour du Québec, sujet à des consultations plus ou moins opaques par le ministre de la Justice.

Le voici donc qui est nommé au plus haut tribunal du Québec à l'hiver 2009. Stupeur dans le milieu. Et depuis un an qu'il siège, selon de très nombreuses sources familières avec la Cour d'appel, l'avis général est qu'il n'a tout simplement pas les qualités requises pour ce travail exigeant.

«C'est l'homme le plus charmant qui soit, mais rien ne le préparait à la Cour d'appel, ni son envergure comme juriste ni son degré d'énergie», dit une source, confirmée par plusieurs autres. Plusieurs, en privé, se plaignent amèrement de la performance du nouveau venu, qu'ils jugent faible. Le juge en chef Michel Robert refuse évidemment de commenter le travail de ses collègues et repousse toutes les objections quant à sa recrue.

D'un président à l'autre

Les choses se corsent du fait que le juge en chef Robert, à 72 ans, doit prendre sa retraite d'ici 3 ans. «Je n'ai pris aucune décision», me dit-il, pour faire taire la rumeur persistante de son départ en 2011.

Mais à voir avec quelle rapidité le juge Léger a grimpé les échelons judiciaires, plusieurs craignent qu'il ne soit l'homme du gouvernement Harper pour remplacer le juge Robert.

Si l'idée lui en venait, Michel Robert serait mal placé pour dire quoi que ce soit, lui qui est ancien président... du Parti libéral du Canada. Des militants conservateurs ne voient pas ce qu'il y aurait de mal à faire ce que les libéraux ont fait. Sauf que s'il est vrai que Michel Robert a été nommé par son ancien parti, il était aussi un des avocats constitutionnalistes les plus cotés du Canada, ayant plaidé maintes fois devant la Cour suprême. Il était un candidat évident.

Il y a donc une sourde tension dans les murs lambrissés de l'édifice Cormier, siège de la Cour d'appel dans le Vieux-Montréal. La plupart n'osent pas parler, de peur de ternir le prestige de l'institution. Mais la grogne est réelle.

Ironie suprême, on vient d'apprendre que le juge Léger a enregistré plusieurs marques de commerce pour les Hells Angels jusqu'en 2006, une information inconnue à la Cour d'appel comme ailleurs.

Forces et failles

Tout cela illustre à nouveau que le système de nomination, s'il produit généralement de très bons résultats, est encore trop soumis à l'influence politique. La solution n'est pas d'interdire l'accès à la magistrature à ceux qui ont fait de la politique. Mais de faire en sorte que les candidats soient choisis au mérite, peu importe leur allégeance, au moyen d'une très courte liste préparée par un comité indépendant. Que personne ne puisse dire, comme maintenant, que le juge Léger est là «à cause» de son passé politique.