Avant d'entrer dans le vif du sujet, je signale à la demi-douzaine de lecteurs qui m'ont envoyé une pièce de cinq cents que la facture de psychanalyse municipale était adressée à Régis Labeaume, pas à vous.

Merci néanmoins, mais vous me placez devant un dilemme éthique. Que faire avec ces 30 sous?

Je les enverrai au fonds de soutien à Claude Robinson. L'homme, on le sait, a remporté l'an dernier une spectaculaire victoire de 5,2 millions contre Cinar, Ronald Weinberg et feu Micheline Charest, ainsi que France Animation et celui qui prétend être l'auteur de la série Robinson Sucroé, le Français Christophe Izard.

 

Le juge Claude Auclair lui a donné raison entièrement, estimant qu'on avait plagié sa série. Avec les intérêts sur 14 ans, la condamnation «vaut» à peu près 10 millions.

Mais voici que l'affaire se transporte en Cour d'appel, où elle ne sera entendue qu'à l'été 2011. Un groupe s'est donc constitué pour soutenir financièrement la cause de M. Robinson. Vous pouvez visiter le site clauderobinson.org. Parce que, évidemment, interjeter appel, ça coûte cher, d'autant plus que de deux qu'ils étaient, les avocats contre lui sont maintenant au nombre de quatre, et pas des moindres.

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Question: comment se fait-il que le juge Auclair n'ait pas ordonné l'exécution provisoire du jugement? Il est permis, en effet, d'obliger celui qui perd à verser immédiatement une partie ou la totalité de la somme, même s'il y a un appel.

Réponse: parce qu'on ne le lui a pas demandé! Je parierais au moins 30 cents que le juge Auclair l'aurait accordée, mais l'avocate de Claude Robinson a choisi de ne pas le faire.

La règle ordinaire veut que les jugements ne soient pas exécutés tant que l'appel n'est pas entendu. On ne veut pas avoir à ordonner des paiements allers-retours.

Un juge peut cependant ordonner l'exécution du jugement «pour quelque raison jugée suffisante». Les juges sont encore relativement conservateurs à ce sujet, mais le cas Robinson aurait été un cas en or pour ouvrir cette porte.

On a, en effet, quelqu'un à peu près sans le sou qui fait face à des multinationales et des gens très riches qui ont fait obstacle au procès pendant des années - il a fallu 14 ans pour obtenir un jugement. On a également un juge qui traite carrément les défendeurs de bandits, de voleurs et de menteurs.

Pourquoi, donc, Me Lucas ne l'a-t-elle pas demandée? Question d'évaluation et de stratégie. D'abord, c'est loin d'être facile à obtenir. Et puis, il vaut parfois mieux ne pas trop en demander. Le matraquage n'est pas toujours payant. Quoi qu'il en soit, avec la victoire qu'elle a remportée, on serait mal placé pour la blâmer.

En attendant l'appel, Gowlings, le bureau de Me Lucas, continue de soutenir financièrement le dossier pour les honoraires. Mais Robinson doit payer les frais de transcription, d'experts, etc.

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Sur les 5,2 millions obtenus par Robinson, il y a 1,5 million qui va aux honoraires. Le juge Auclair a en effet décidé de condamner Cinar et compagnie à payer les frais d'avocat de Robinson, ce qui est exceptionnel. Ne pas condamner Weinberg et les autres à payer les honoraires serait un encouragement aux «tricheurs» et aux «menteurs» à «perpétuer leur conduite immorale et leurs manoeuvres illégales en toute impunité», de dire le juge Auclair. Qui, en effet, est assez riche et obstiné pour se battre pendant 15 ans contre des multinationales?

Malheureusement, au Québec, il faut des cas presque absurdes pour qu'une partie soit condamnée à payer les honoraires de l'autre. C'est pourtant la règle dans bien des pays. Et ce serait une mesure à peu près correcte d'accès à la justice.

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Bien sûr, il aurait été préférable, et seulement juste, que Robinson reçoive une partie de la somme immédiatement. Mais n'allez pas penser qu'un appel consiste à «tout refaire à zéro».

Trois juges, qui auront relu tout le procès, écouteront les arguments des avocats pendant quelques jours à l'été 2011. Ils diront s'il y a des erreurs qui justifient de réviser le jugement contre untel ou untel ou de tout annuler.

Claude Robinson reste un homme sans le sou contre des gens qui ont les moyens de l'épuiser financièrement. Mais le plus difficile est derrière lui. Un juge lui a donné raison sur les faits. La fraude. La tricherie. Le plagiat. Le juge Auclair s'est prononcé en détail sur la crédibilité des témoins. Or, la Cour d'appel, qui n'entend pas les témoins, ne se mêle pas normalement de rejuger les faits.

Sa guerre n'est pas finie. Mais Claude Robinson est dans une très bonne position, bien meilleure que dans les 15 dernières années, en fait.

J'applaudis au mouvement de soutien qui vient d'être mis sur pied pour «rétablir le rapport de forces». La justice pour Robinson, maintenant que les faits sont «rétablis», c'est simplement d'avoir les moyens de défendre sa victoire en Cour d'appel.

C'est une cause symbole pour le milieu culturel, vu qu'il est question de droits d'auteur. Mais ça va bien plus loin. C'est en effet une fable sur la ténacité récompensée. Sur la justice rendue contre toute attente. Et, finalement, sur l'inégalité des chances dans ce système qui favorise encore indûment le puissant.