En septembre 2009, l'ex-député albertain Rahim Jaffer a été arrêté au nord de Toronto parce qu'il roulait à 93 km/h dans une zone de 50.

Il a échoué à un alcootest et les policiers ont trouvé sur lui de la cocaïne.

Ce n'est jamais bon pour un ex-député, mais particulièrement pour un ardent partisan d'une plus grande sévérité envers les trafiquants de drogue. Ce fut donc la fin (momentanée, du moins) de la carrière politique de Jaffer pourtant promis à un brillant avenir - il est entre autres un des rares politiciens albertains bilingues.

La semaine dernière, coup de théâtre, Jaffer sort du palais de justice d'Orangeville avec une simple amende de 500$ pour excès de vitesse. Les accusations criminelles ont été retirées par la poursuite.

Le juge Douglas Maund, en imposant l'amende, a dit qu'il pouvait «lire entre les lignes» et qu'il était convaincu que Jaffer pouvait réaliser qu'il avait obtenu une deuxième chance («a break»).

Une deuxième chance? Il n'en fallait pas plus pour déchaîner des questions ridicules à la Chambre des communes à Ottawa de la part d'une députée libérale fédérale, qui exige des explications.

Premièrement, il s'agit d'une décision prise par une avocate de la Couronne provinciale, qui ne relève donc pas de Justice Canada. Deuxièmement, on a assez réclamé une indépendance politique des avocats de la poursuite, il ne faudrait pas être tenté de faire donner des ordres aux procureurs par les politiciens ou de leur faire commenter les décisions des tribunaux!

Rien n'indique que Jaffer ait obtenu de traitement de faveur. Comme dans 91% des cas en Ontario (et les chiffres au Québec sont comparables), son affaire s'est réglée par une négociation entre la défense et la Couronne. Une négociation encadrée par un juge (différent de celui qui a rendu la décision), et qui s'est faite confidentiellement.

Le problème, c'est que la poursuite s'est contentée de déclarer qu'elle n'entrevoyait pas de perspective raisonnable de condamnation. L'avocate a dit que la cause avait été «soigneusement examinée».

On veut bien, mais on ne peut se contenter de demander un acte de foi judiciaire au public. S'il y a de bonnes raisons de retirer des accusations, elles doivent être explicables en public.

Est-ce que la drogue n'était pas de la cocaïne? Est-ce qu'elle appartenait à quelqu'un d'autre? Est-ce que la saisie était illégale? Et l'alcootest? Les autorités ne le disent pas, et voilà le problème.

* * *

Le Toronto Star, citant des sources anonymes, affirme que c'est un policier provincial sans expérience qui a arrêté le député et qu'il a fouillé Jaffer à nu sans suivre les règles. On aurait donc violé les droits de Jaffer, si bien qu'une contestation en vertu de la Charte aurait permis de faire exclure toute la preuve contre lui.

La Couronne a sans doute testé l'hypothèse avec le juge qui présidait les négociations. On pourrait très bien justifier le retrait des accusations si l'on est convaincu qu'il y aura un acquittement. Mais encore faut-il l'expliquer.

En ce moment, les gens de la justice n'aiment pas qu'on prétende que Rahim Jaffer a eu un traitement de faveur. Il est vrai que le même genre de processus peut se passer pour un pur quidam. (Encore qu'au Québec, une directive des procureurs interdit de remplacer une accusation de conduite avec des facultés affaiblies par une accusation en vertu du Code de la sécurité routière: on limite donc les négociations, vu certains cas passés douteux.)

Puisque c'est si banal et si normal, ce dont je ne doute pas, pourquoi ne nous disent-ils pas simplement leurs raisons?

Au lieu de cela, on en est réduit à se rabattre sur des hypothèses et des confidences de sources anonymes.

On ne vous dira rien, mais on vous ordonne d'avoir confiance, on sait ce qu'on fait...

Au XXIe siècle, ces arguments d'autorité ne tiennent plus. Pas parce que c'est Rahim Jaffer. Parce que la justice est publique.

Malheureusement, il y a encore bien des gens dans le système judiciaire qui pensent que le public n'est pas capable de juger par lui-même.

Ce sont généralement les mêmes qui blâment les médias de semer la méfiance du public envers la justice.