Il se peut que Jean Drapeau se soit trompé en choisissant un métro à pneus. Mais c'est ce qu'on a depuis 43 ans.

Pas grave, Glen T. Fisher, consultant pour la compagnie ferroviaire chinoise Zhuzhou, veut le redessiner!

Depuis deux semaines, M.Fisher a lancé une intense campagne médiatique visant à rouvrir le dossier du renouvellement des voitures du métro de Montréal. Il menace de contester en cour l'appel d'offres, qui exige un métro sur pneumatiques.

Les voitures avec des roues en acier, plaide-t-il, coûtent moitié moins cher, consomment moins d'électricité et peuvent s'adapter à un prolongement à l'extérieur - bien moins cher que les tunnels.

 

Il a engagé l'un des avocats les plus médiatiques en ville, Julius Grey, qu'on ne voit pas d'ordinaire dans les litiges commerciaux. «Un avocat en droit commercial aurait tendance à accepter l'appel d'offres tel quel sans rien dire; je l'ai engagé pour le contester», m'explique M.Fisher.

Comme de fait, on a déjà entendu Me Grey sur quelques tribunes.

M.Fisher, ingénieur et ancien cadre de Canadien Pacifique âgé de 75 ans, est maintenant consultant dans le domaine du transport. Il est connu dans le milieu et siège même au comité de sélection du Temple de la renommée des chemins de fer du Canada - eh oui, ça existe.

Oui, mais l'appel d'offres exige un contenu canadien à 60%. Pas de problème! M.Fisher a déclaré lundi qu'il peut commencer à faire faire ses voitures «d'ici trois mois» dans l'usine désaffectée de Dominion Bridge, à Lachine. Il créerait même 1000 emplois!

Oui, mais c'est une ancienne usine d'assemblage de pièces d'acier géantes, où l'on fabriquait des ponts. Quel rapport avec les voitures de métro? Assembler des voitures est un jeu d'enfant, répond M.Fisher, il suffit d'avoir une usine assez grande, de quoi découper des pièces et les assembler. Et hop, un autre problème de réglé.

Reste le léger détail de la conception même du métro. Tout le système de Montréal devrait être changé, les formats, l'informatique, les rails, sans compter le personnel d'entretien - qui déjà fait des miracles avec les voitures désuètes actuelles. M.Fisher passe vite sur l'immense bordel technique et financier que constituerait le passage d'un système à l'autre - car on ne va tout de même pas tout rayer d'un seul coup.

Bref, il s'agit de réinventer le métro de Montréal au complet et ça n'a pas de sens. Pas maintenant, pas comme ça.

Jusqu'où une compagnie ferroviaire peut-elle imposer un choix technologique à une société de transports? Je ne vois pas un juge se mêler de dire à la STM quelle sorte de roues elle devrait préférer.

On voit d'ici les débats d'ingénieurs qui nous attendent (ils sont déjà commencés), les délais judiciaires, les appels...

Merci beaucoup pour l'intérêt, mais non merci.

Il est vrai qu'à peu près personne n'a protesté quand le gouvernement Charest a imposé Bombardier pour construire un premier lot de 300 voitures pour 1,2 milliard de dollars. La Cour supérieure a eu raison d'annuler ce contrat, à la demande de la société française Alstom. Un appel d'offres a été lancé pour 342 voitures en août 2008, et les deux constructeurs ont décidé de se partager l'ouvrage.

Zhuzhou n'a jamais répondu à l'appel d'offres.

Et maintenant qu'on apprend qu'une entente est imminente entre Québec, après des mois de négociations entre la Ville de Montréal et la STM, voici que le constructeur chinois s'invite - à l'initiative de M.Fisher.

Ce n'est pas très sérieux.

Il est vrai que, dans sa précipitation et son souhait de faire triompher Bombardier, Québec a télescopé les règles de la concurrence. Il est vrai aussi que le contrat a triplé de valeur depuis un an et demi: il est question de plus de 700 voitures, peut-être 1000 si l'option d'achat d'un dernier lot se réalise. Donc plus de 3 milliards. C'est pourquoi on est obligé de rouvrir d'ici au 1er mars cet appel d'offres, mais toujours selon les termes prévus.

Tant mieux s'il y a concurrence, c'est l'idée même du processus. On peut aussi blâmer Québec pour le délai actuel.

Mais encore faut-il offrir ce qui est demandé. Ce n'est pas un contrat pour une flotte de bateaux, ni de tramways, ni de montgolfières, ni de voitures de métro à roues d'acier. Et sauf des déclarations sommaires dans les journaux, personne n'a démontré la faisabilité de cette réinvention du métro de Montréal.

On aimerait bien voir le terminus.

ERRATUM Le témoin payé 2,9 millions pour sa collaboration à l'opération SharQc s'appelle Sylvain Boulanger, et non Serge, comme je l'ai écrit vendredi. Mes excuses.

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