En partant, 700 chefs d'accusation et 30 000 pages de preuve à gérer pour un jury, ça n'a pas de sens. On ne me fera pas croire que la poursuite n'était pas capable de réduire la quantité et la complexité des accusations. Elle a donc sa part de responsabilité dans ce fiasco.

Est-ce à dire que les mégaprocès devant jury sont impossibles? Non. Ils ne peuvent pas l'être, puisque les enquêtes du siècle qui commence, comme les crimes qu'ils concernent, sont plus complexes que jamais.

 

Mais ça veut dire qu'il faut que le système évolue, qu'il évolue beaucoup, et qu'il évolue vite.

Les mégaprocès sont le cancer du système et il menace son existence même, disait il y a cinq ans un juge ontarien. Et il ne parlait même pas des procès de motards. Il parlait de tous les procès «ordinaires» devant jury qui deviennent méga par la simple accumulation des requêtes et de la procédure.

Ce qui vient d'arriver au procès de Norbourg n'est donc malheureusement pas extraordinaire. C'est un nouveau symptôme de la maladie contemporaine de la justice criminelle au Canada.

Des rapports ont été rédigés, tant au Québec qu'en Ontario, des colloques ont lieu sur le sujet et partout, les juges, les avocats, les policiers disent la même chose que ce jury disloqué: ça n'a plus de maudit bon sens.

Évidemment, on ne règle pas un problème complexe avec une solution simple. Il faut pourtant s'y attaquer de toute urgence.

Et les solutions passent toutes par le même chemin: simplifier les procès en les préparant mieux. On a déjà beaucoup appris des procès passé, changé les façons de faire. Mais pas assez.

Par exemple, on n'a pas changé le Code criminel pour donner officiellement plus de pouvoir aux juges pour gérer leurs procès. On le fait pourtant au civil depuis des années. Au criminel, ce n'est qu'avec réticence que le juge dira à la Couronne de réduire sa preuve. Après tout, l'État est maître de son dossier et ce n'est pas par pur plaisir, par exemple, qu'un procureur dépose 700 chefs d'accusation. C'est à l'évidence une erreur, par contre. Mais dans l'état actuel des choses, il est très malaisé pour un juge de contraindre la poursuite à réorganiser son dossier.

«Quand on vous décharge un camion de 30 000 pages dans la cour, on n'est pas nécessairement bien parti», observe un juriste.

Ce qui revient à dire que tout doit être extrêmement bien organisé, prédigéré par la machine avant d'être balancé au jury.

Même chose pour la défense. Il va falloir obliger également la défense dans tous les cas à admettre des choses évidentes, à s'organiser et à présenter ses requêtes de façon ordonnée dans le bon temps.

Dans le cas précis qui nous occupe, on peut espérer trois choses avant de recommencer ce procès.

Un, que la poursuite simplifie le dossier. Deux, que le prochain juge entérine instantanément toutes les décisions déjà prises par le juge Richard Wagner, pour éviter toutes les discussions en droit déjà tenues.

Pour le reste, il est temps qu'Ottawa légifère pour rendre gérables ces bêtes qui dévorent le système. Et que la magistrature ne se gêne plus pour diriger avec une fermeté d'acier le changement de culture qui s'impose. Le temps du laisser-faire au nom des droits de tout un chacun est terminé.

Il y a déjà deux procès de motards d'une cinquantaine d'accusés en perspective cet automne, résultat de l'opération SharQ... Sans compter tous les autres qui ne sont que «moyennement gros».

On aurait intérêt à y voir, et vite.

Pour joindre notre chroniqueur: yves.boisvert@ lapresse.ca