Si Bobby Nadeau, le 22 mars 2008, jette ses gants de gardien et se bat avec Jonathan Roy, ce n'est qu'une autre déplorable bagarre générale dans le hockey junior. Deux jours plus tard, on n'en parle plus.

Mais Bobby Nadeau ne s'est pas battu. Et cette décision à elle seule a eu des conséquences incalculables sur le sport national. La scène d'un jeune homme qui se fait agresser et qui refuse la bagarre a pris des proportions telles que, soudain, le hockey junior lui-même s'est retrouvé au banc des accusés.

Les gens du milieu avaient beau dire qu'il s'agissait d'un incident malheureux monté en épingle, personne ne les écoutait. Ils avaient perdu le contrôle du sujet. Le gouvernement a été sommé d'agir au nom de la protection de la jeunesse, de l'éducation et du développement du sport. On a mis une pression telle sur la LHJMQ qu'elle a récrit de force quelques règlements. Le nombre de bagarres a diminué des deux tiers dès la saison suivante. Les autres ligues juniors canadiennes entendent l'imiter.

Plus encore: l'été qui a suivi, la Direction des poursuites criminelles et pénales a changé les critères pour porter des accusations contre des participants à un match de hockey.

L'ancienne directive voulait qu'on accuse un joueur qui se bat uniquement si l'autre avait refusé de se battre et était blessé. Bobby Nadeau a refusé de se battre avec Jonathan Roy mais n'a pas été blessé. Il a fallu récrire la directive et c'est ainsi que Roy a été accusé, puis s'est avoué coupable hier.

C'est fou ce qu'un gars peut provoquer en restant accoté sur son filet, quand on y pense.

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Il y a donc lieu de vanter le courage et la volonté de Bobby Nadeau, le jeune homme par qui la sous-culture du hockey junior a fait un bond en avant. Seul contre tous!

Sauf que Bobby Nadeau n'en demandait pas tant. En fait, il ne demandait rien du tout, sinon de finir au plus vite ce match de hockey, que son équipe menait 7 à 1, sans se blesser, sans se faire suspendre parce qu'il se serait battu avec le gardien no 2 de l'autre équipe. Nadeau a été un temps classé au 21e rang des meilleurs joueurs juniors en Amérique du Nord.

En fait, il avait des ordres stricts de son entraîneur des Saguenéens de Chicoutimi, Richard Martel: tu ne te bats sous aucun prétexte, sauf à la rigueur contre leur numéro 1.

Il était donc accoté sur la barre de son filet quand cette bagarre de fin de match a éclaté. Bon, à minuit, ce serait son anniversaire, il allait avoir 20 ans et il allait se concentrer sur le prochain match, à Québec. Quand Roy est arrivé à son bout de la patinoire, il était convaincu qu'il s'agripperait à lui, mais il n'a pas pensé que les coups allaient pleuvoir.

«Ne croyez pas que je sois un gars très, très pacifique, m'a-t-il dit. Je me suis déjà battu, je n'ai rien contre les bagarres. Quand les deux joueurs veulent participer, c'est très rare qu'il y a des blessés. Avoir su que ça tournerait comme ça, je ne suis pas sûr que je referais la même chose.»

Tourné comme quoi? Le délire médiatique, le Colisée de Québec plein à craquer qui hurle son nom à la partie suivante, la difficulté de se concentrer, l'élimination de son équipe, les gens qui le traitent de peureux, de «jaune», ces bassesses qu'on chuchote dans le milieu, qu'on laisse deviner à son agent, les accusations criminelles...

Avoir su tout ça, il aurait probablement jeté ses gants pour se battre.

Le héros de notre histoire est donc infiniment rétif. En fait, il ne veut rien savoir de tout ça, et surtout pas des accusations criminelles. «Pas un joueur de junior de ma génération ne pense que ça méritait une accusation criminelle, et moi je n'ai jamais porté plainte, là-dedans. On ne sait jamais quand on peut aller trop loin. Ça aurait pu m'arriver.»

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Bobby Nadeau est maintenant aux études et joue dans le hockey universitaire, à Dalhousie, grâce à des bourses de la LHJMQ et de l'université. Ne comptez pas sur lui pour donner des conférences sur la violence au hockey. Si on veut changer les règles, qu'on le fasse, lui ne milite pour rien. Tout ce qu'il en retire de bien, c'est d'avoir découvert plus vite que d'autres l'importance de la famille et de ses vrais amis.

Son père, Robert Nadeau, a vu le travail de 8 ou 10 ans de son fils «s'écrouler en 10 minutes», dit-il. Il est bien content que les choses «évoluent dans le sens d'une plus grande dignité humaine» et que les gens de hockey aient été «forcés de se poser des questions qu'ils ne se posaient pas».

Mais cette ligue a très mal réagi, dit-il, et les Saguenéens ont laissé tomber son fils. On lui a même interdit de le voir dans la semaine qui a suivi, pour éviter les distractions pendant cette importante série...

«C'est une business, le hockey junior. Si c'était à recommencer, sachant les capacités scolaires de mon fils, jamais je ne l'enverrais là. Je me console en me disant que l'événement a fait évoluer les choses.»

Ce n'était donc pas le projet idéologique de la famille Nadeau de réformer le hockey junior. Mais ce militant enrôlé malgré lui dans le parti des non-violents a accompli énormément, même si c'est par omission. Et il en a payé le prix, autant que s'il avait livré volontairement ce combat qui ne l'intéressait pas...