Les médias sont-ils obligés de ne donner la parole qu'à des gens consensuels, mesurés, pondérés et bien peignés?

En rejetant le recours collectif d'un homme prétendant parler au nom de tous les Noirs du Québec contre Radio-Canada, le juge Marc de Wever a dit non il y a deux semaines.

Eh oui, c'est encore l'histoire du Doc Mailloux, déclinée ici sous l'angle de l'atteinte à la réputation de la communauté noire.

Étonnamment, cette décision est passée à peu près sous le radar médiatique. Je dis étonnamment parce qu'une décision dans le sens opposé aurait eu des conséquences désastreuses et rendu encore plus frileux et conformistes les réseaux de télévision.

Le CRTC avait blâmé Radio-Canada en 2006 pour avoir provoqué artificiellement une controverse en ayant permis la diffusion de propos «dénigrants, offensants» du psychiatre, qui prétendait s'appuyer sur des études (jamais publiées) pour affirmer que les Noirs ont un quotient intellectuel moyen inférieur aux Blancs et y allant d'une explication pseudo-scientifique. Le CRTC a reproché à Radio-Canada d'avoir provoqué ce débat sans même convoquer un expert pour le contredire.

Le Collège des médecins, le mois dernier, a conclu que le médecin avait émis des propos non soutenus par les données de la science actuelle et était donc coupable de divers manquements à son code de déontologie (le psy en appelle).

Le vent soufflait si fort contre le psychiatre maintenant déclaré officiellement infâme qu'on pouvait craindre que le recours collectif entrepris au nom de la communauté noire soit accueilli.

En fait, le demandeur n'a pas même obtenu la permission de l'exercer. La poursuite était tardive (plus d'un an), ce qui déjà réglait le cas. En plus, les « dommages » de chaque personne sont impossibles à quantifier objectivement et individuellement et, finalement, de toute manière, la diffamation collective n'est pas reconnue en droit québécois. Quand quelqu'un dénigre un groupe très large, aussi stupides soient les propos, la diffamation se trouve diluée pour ainsi dire.

On réclamait à Radio-Canada 24 500 $ pour chacun des 175 000 membres de la communauté. Ce qui ferait 4 287 500 000 (on aurait peut-être réglé pour 4 milliards tout rond, remarquez).

S'il fallait que ce genre de recours réussisse, cela voudrait dire qu'il serait illégal de diffuser des propos offensant un groupe, même si ces propos sont descendus en flammes dans la même émission. Car enfin, c'est ce qui est arrivé au Doc Mailloux : tous les autres invités l'ont descendu.

On pourrait par exemple imaginer un groupe d'anglophones poursuivant TVA ou la SRC après la diffusion d'une entrevue de Pierre Falardeau. Ou n'importe quel média rapportant des thèses controversées, y compris pour les critiquer.

Si la peur des poursuites fait en sorte que les médias ne convoquent plus des personnalités publiques pour les confronter, on n'aura protégé personne.

Ce n'est pas en les rendant illégales qu'on combat les idées fausses. «Le remède ne réside pas dans la dilatation du concept de diffamation, mais bien dans le débat public et même le débat public vigoureux», écrit le juge de Wever.

Bien dit.

«Bien connu de la police»

En deux semaines, deux policiers de Montréal ont été arrêtés pour avoir transmis des informations policières confidentielles.

La bonne nouvelle, c'est qu'on prend l'affaire suffisamment au sérieux pour que des accusations criminelles soient déposées contre eux. Avis à tous les intéressés...

La mauvaise, eh bien... c'est justement que c'est très sérieux. Les banques de données auxquelles les policiers ont accès contiennent un nombre fabuleux de données personnelles sur tous les citoyens, avec ou sans casier judiciaire. On se souvient que les motards payaient des sources chez des sous-traitants de la SAAQ pour obtenir des informations sur des ennemis ou des cibles de leurs opérations.

Le premier cas vise un sergent-détective aux homicides, Mario Lambert, accusé d'utilisation frauduleuse de l'ordinateur de police. Les détails ne sont pas connus, mais c'est un policier d'expérience travaillant sur des enquêtes majeures.

L'autre cas est peut-être encore plus troublant : l'agente Nancy Lauzon est accusée du même crime, au profit de son père, Fernand Lauzon, un homme de 68 ans accusé de trafic de cocaïne.

Fernand Lauzon, apparemment, est bien connu de la police même s'il n'a pas d'antécédent judiciaire. Les policiers l'accusent d'être un important trafiquant de coke dans le Sud-Ouest de Montréal.

Il semble que Lauzon était nerveux et s'inquiétait d'être suivi par une voiture inconnue. Il a demandé à sa fille d'en vérifier la plaque. C'était une voiture de police banalisée... Lauzon a été arrêté dans le cadre de la méga-opération Axe, ce printemps.

Le fait d'avoir transmis une information, si c'est vrai, ne veut pas dire que la policière ait été complice de son père. La mauvaise réputation de ses parents, par ailleurs, ne devrait sans doute pas empêcher quelqu'un d'être policier.

Mais comment se fait-il que la policière Lauzon patrouillait dans le quartier où les complices de son père trafiquaient (selon les accusations du dossier Axe, du moins)? Là, on commence à avoir des doutes sur le sérieux de l'encadrement et des enquêtes de sécurité au Service de police de la Ville.

On dirait que ceux qui devraient consulter le centre de renseignements policiers ne le font pas toujours. À moins que l'expression « bien connu de la police » veuille dire : connu uniquement de l'ordinateur de police, vu que la police a pris sa retraite... Il me semble que le chef Yvan Delorme a des réponses à nous donner.