Ah, si seulement ce misérable évêque avait réalisé un film, ne serait-ce qu'un court métrage, peut-être les pleureuses hollywoodiennes et la France médiatique voleraient-elles à son secours.

Voici en effet que Mgr Raymond Lahey, évêque démissionnaire d'Halifax, est accusé de possession de matériel pornographique juvénile. On a saisi son ordinateur la semaine dernière aux douanes.

S'il avait fui en France, et que, dans 10 ou 20 ans, il était arrêté en se rendant dans un congrès eucharistique en Italie, puis menacé d'extradition, personne n'oserait prendre sa défense.

Il n'y aurait nulle part de coalition de gens respectables pour réclamer sa libération en invoquant son immense talent, le passage du temps, ses bons états de service et la cruelle sévérité des peines dont on le menace.

Voilà ce qui arrive aux présumés pédophiles de droite non cinématographiques.

Tout le monde ne peut pas être Roman Polanski.

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De la même manière, de nos jours, personne n'oserait dire que les poursuites civiles contre l'Église, pour les viols par des prêtres il y a 50, 40 ou 30 ans, sont des choses trop lointaines pour qu'on s'y intéresse. Le diocèse d'Halifax vient tout juste de régler à l'amiable un recours de plusieurs victimes de prêtres, à hauteur de 15 millions pour des gestes remontant à cette époque.

Il est juste aux yeux de tous de réclamer et d'obtenir réparation pour les abus des prêtres, même morts, et le silence complice de la hiérarchie catholique d'antan. C'est parfois très tard, après un long processus, que les victimes se révèlent.

Les vieilles justifications sont maintenant irrecevables, même au sein de l'Église catholique. Autrefois, on protégeait les prêtres pédophiles ou violeurs, on se contentait de les déplacer, on tentait d'enterrer ces scandales scabreux pour protéger l'institution. Et puis, on pardonnait, on excusait ces actes si promptement qu'ils étaient souvent impunis.

Autrement dit, les victimes étaient oubliées le plus rapidement possible. Elles ne viendraient pas détruire la vie et l'oeuvre de prêtres jugés par ailleurs admirables. C'est parfois des prêtres parmi les plus populaires de leur communauté qui ont été accusés. On n'est jamais qu'une seule chose, n'est-ce pas, on ne résume pas une vie par un ou deux errements...

L'Église a été durement critiquée pour avoir raisonné ainsi et elle paie maintenant pour sa complaisance passée. Elle a changé sa politique, de gré et surtout de force.

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Les défenseurs de Roman Polanski dans l'industrie du cinéma, eux, ne raisonnent pas autrement que l'Église d'il y a 50 ans. Le pouvoir hollywoodien se scandalise de son arrestation et le défend en invoquant, au fond, le même genre d'arguments qui feraient scandale s'ils étaient utilisés pour défendre un prêtre. Tout ceci avec un vernis progressiste impeccable.

D'abord, ils passent vite sur les détails désagréables de «l'incident». Qu'est-ce qu'un moment d'égarement dans une vie aussi resplendissante?

Polanski a drogué et soûlé une adolescente de 13 ans qui rêvait de faire du cinéma. Il l'a ensuite sodomisée, même si elle répétait «non», et il l'a violée aussi. Au Canada comme aux États-Unis, la défense de consentement n'est pas recevable quand un adulte a une relation sexuelle avec une personne de moins de 14 ans. C'est une agression sexuelle dans tous les cas.

Qu'importe, on réclame une sorte d'immunité ou de prescription pour cause de génie en faveur de Polanski. On en a vu parler d'une «erreur de jeunesse». Le gars avait 44 ans! Imagine-t-on qu'on invoque la même chose en défendant un prêtre de 76 ans qui aurait commis des gestes semblables il y a 32 ans? Évidemment jamais.

On nous dit également qu'il a beaucoup souffert, sa femme ayant été assassinée par un tueur en série et ses déplacements étant limités depuis 31 ans.

D'abord, si la souffrance passée des accusés procurait l'immunité judiciaire, les palais de justice seraient fermés.

Ensuite, si ses déplacements sont limités, c'est parce qu'il a fui la justice. Il s'est avoué coupable d'une infraction criminelle moindre en 1977, après négociation avec le procureur de l'État. Quand il s'est rendu compte que le juge irait bien au-delà de la peine négociée, il a choisi de fuir en France, car il en avait les moyens, et on l'y protège depuis 31 ans.

Il y a eu des irrégularités judiciaires, plaide-t-on par ailleurs. Le juge n'était pas impartial. Toutes choses apparemment révélées dans un documentaire produit l'an dernier mais qui ne changent rien au fond de l'affaire : il n'a pas reçu sa sentence et son exil est une fuite.

Essayez d'imaginer un seul instant un discours équivalent pour défendre un ecclésiastique impliqué dans un crime sexuel aussi sérieux.

Le ministre français de la Culture Frédéric Mitterrand juge même «absolument épouvantable» cette arrestation «pour une affaire qui n'a pas de sens».

Moi, ce que je trouve absolument épouvantable, c'est cette indulgence pénale bon chic, bon genre. Non pas que la justice pénale américaine soit un modèle à imiter. Mais cette campagne pour mettre à l'abri de la loi certains citoyens triés sur le volet artistique, ça, c'est assez pitoyable. Sous couvert de bons sentiments, c'est en fait un plaidoyer pour une justice de classes institutionnalisée et une banalisation d'une agression sexuelle sérieuse.

Y a-t-il donc une pédophilie condamnable et une autre politiquement correcte?