Si Adil Charkaoui a été une menace à la sécurité nationale, ce n'est certainement plus le cas aujourd'hui, après presque deux ans de détention et des années de surveillance et de débats judiciaires.

Mais voici qu'il se compare à Maher Arar et laisse planer une menace de poursuite contre le gouvernement canadien. Pas sûr, M. Charkaoui, pas sûr du tout.

 

D'abord, Maher Arar, citoyen canadien, a été envoyé avec la complicité de la police canadienne vers la Syrie, où il a été non seulement emprisonné mais torturé pendant un an. Une commission d'enquête a conclu à l'absence de preuve contre M. Arar. Elle a critiqué sévèrement la GRC et les services de renseignement. Le gouvernement canadien a ensuite présenté ses excuses et indemnisé M. Arar à hauteur de 10 millions. M. Charkaoui, originaire du Maroc, n'est pas citoyen canadien. En observant ses liens avec diverses personnes liées à la mouvance islamiste radicale, et en apprenant qu'il avait fait un voyage jugé suspect au Pakistan en 1998, le Service canadien du renseignement de sécurité a conclu qu'il était indésirable et qu'il devait être expulsé du pays.

Il y a pour cela une procédure prévue à la Loi sur l'immigration: le certificat de sécurité. Depuis une trentaine d'années (donc bien avant le 11 septembre), 27 personnes ont été l'objet d'un tel certificat.

C'est une audience au cours de laquelle l'État doit démontrer qu'il a des motifs raisonnables de soupçonner la personne d'activités criminelles, de terrorisme ou de ce qui pourrait constituer une menace à la sécurité nationale.

M. Charkaoui a été détenu pendant 21 mois, à partir de 2003, puis a été soumis à une série de conditions très sévères, notamment à la surveillance électronique 24 heures sur 24.

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En 2007, la Cour suprême a accueilli un recours de M. Charkaoui, disant que cette procédure viole les droits fondamentaux: la preuve est largement secrète et ne peut même pas être contestée par la personne visée.

La Cour suprême n'a pas pour autant invalidé la procédure, elle a simplement forcé le gouvernement conservateur à la récrire pour prévoir un mécanisme de révision: un avocat indépendant, lui, peut avoir accès à la preuve et la tester. Ce qui fut fait, et les cinq personnes visées par ces certificats au Canada le sont maintenant suivant la nouvelle procédure.

En fait, la Cour suprême a surtout confirmé la légitimité d'une mesure exceptionnelle pour permettre au Canada d'expulser les personnes potentiellement dangereuses.

Bien entendu, le monde de l'espionnage est plein de coups fourrés, de faux témoins et de renseignements foireux. La juge Danièle Tremblay-Lamer, de la Cour fédérale, ne semble pas particulièrement impressionnée par le travail des services de renseignement canadiens dans ce dossier, c'est le moins qu'on puisse dire. Elle semble sur le point de rejeter carrément ce certificat, et ce n'est pas pour rien que M. Charkaoui a été libéré de son bracelet électronique.

Mais faut-il en conclure que M. Charkaoui est victime d'une erreur sur la personne ou d'un acharnement injustifié? On n'en est pas là du tout si l'on se fonde sur le sommaire de la preuve du gouvernement produit en cour et pourtant déjà allégé de plusieurs éléments cet été.

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Adil Charkaoui a passé cinq mois au Pakistan en 1998. Le SCRS le soupçonne de s'être rendu pendant cette période dans un camp d'entraînement terroriste d'Al-Qaeda en Afghanistan. Les recrues qui s'y rendaient passaient par le Pakistan, et c'est la route qu'a suivie, à peu près aux mêmes dates, Ahmed Ressam, ce Montréalais arrêté à la frontière canado-américaine en décembre 1999 dans une voiture bourrée d'explosifs. Ressam était au même camp que Zacarias Moussaoui, impliqué dans les attentats du 11 septembre 2001.

Ressam a affirmé reconnaître Charkaoui sur deux photos. Il a dit l'avoir vu au camp d'Al-Qaeda. Toutefois, il a ensuite appelé le journaliste Fabrice de Pierrebourg pour dire qu'il avait menti.

M. Charkaoui, lui, affirme n'avoir pas mis les pieds en Afghanistan. Tant au FBI qu'au SCRS et à la Cour fédérale, M. Charkaoui a donné des explications nébuleuses sur son voyage. Il y était allé pour renouer avec la religion musulmane, a-t-il dit. Il ne semble pas capable de donner beaucoup de détails.

Le SCRS a observé qu'il avait pris l'habitude, au début des années 2000, d'utiliser très souvent les téléphones publics, y compris en face de chez lui.

M. Charkaoui a eu des liens avec Abousoufian Abdelrazik, que le Conseil de sécurité de l'ONU considère comme un extrémiste membre du réseau Al-Qaeda. Il a aussi eu des contacts avec Abdellah Ouzghar, qu'il a décrit comme un innocent n'ayant rien à se reprocher, mais qui a été condamné à cinq ans de prison en France pour avoir facilité la fabrication de faux documents à des fins terroristes.

Ce ne sont pas des preuves d'un complot terroriste. Si c'était le cas, on lui ferait un procès pour cela. Mais je conçois que ces éléments, plus d'autres qu'on ne connaît pas, peuvent constituer éventuellement un «soupçon raisonnable» que, à tout le moins, M. Charkaoui a flirté avec l'extrémisme islamiste.

Je ne suis donc pas convaincu du tout qu'il pourra prouver que, si sa réputation a été entachée, c'est à cause du gouvernement canadien, quels que soient les errements des services secrets.

Dans toutes ces entrevues que donne M. Charkaoui, j'aimerais bien qu'on lui demande de répéter son opinion sur le 11 septembre, cette vaste «supercherie», comme il a dit à la cour, lui qui croit que ben Laden n'aurait jamais pu organiser pareille affaire.

J'aurais voulu causer avec lui, hier, mais il m'a raccroché au nez quand je lui ai posé des questions sur son voyage au Pakistan. Questions tendancieuses, m'a-t-il dit, menace de poursuite à l'appui.

Il n'a donc pas commencé à me convaincre que ce certificat a été une erreur. Aujourd'hui, en vérité, je ne le crois pas du tout.