David Miller n'avait que les 20 minutes de marche qui séparent son bureau à l'hôtel de ville de Toronto de l'ancienne Bourse de Toronto, où il allait donner une conférence de presse.

Une mèche blanche d'ancien blond se balade sur son front, deux yeux bleus décidés et un physique imposant "qui lui a permis de jouer dans les coins de patinoire", comme dit la biographie officielle du maire de Toronto. On aime les joueurs de caractère, dans cette ville.

En marchant d'un pas résolu le long de Bay Street, le politicien de 48 ans m'explique l'importance de la nouvelle loi sur Toronto, qui rend jaloux le maire de Montréal.

"Dans 20 ans, les gens se demanderont à quel moment Toronto est devenue cette ville formidable, et ils regarderont vers le passé, et ils diront : c'est cette loi qui a permis ça. C'est aussi important que ça!

"Avant cette loi, la Ville n'avait comme pouvoirs que ce que le gouvernement provincial lui permettait explicitement de faire. Il fallait demander la permission pour la moindre initiative. Maintenant, c'est l'opposé. On nous a accordé un pouvoir général, avec des exceptions."

Mais encore?

"Si je veux donner des subventions pour les toits verts, je peux le faire (M. Miller n'a pas de chien qui s'appelle Kyoto, mais c'est tout comme).

"Si nous décidons d'imposer des frais pour changer les comportements, nous pouvons le faire; exemple : avant, nous pouvions taxer le parking dans la rue, mais pas le parking souterrain; on peut le faire maintenant. Nous pouvons réglementer l'architecture également. Nous pouvons développer notre propre stratégie de transports en commun. C'est énorme."

Les stratégies, c'est bien, mais l'argent, ça ne nuit jamais pour les réaliser. Or, Toronto, comme Montréal, peine à boucler son budget. Une étude du Conference Board évalue à 1,1 milliard de dollars le déficit annuel caché dans les infrastructures de la Ville - dont le budget est de 9 milliards.

Les nouveaux pouvoirs accordés à la Ville de 2,5 millions d'habitants ne règlent en rien la crise budgétaire. D'autant qu'au moment des fusions municipales ontariennes, le gouvernement de Mike Harris a donné à la Ville des responsabilités en matière d'aide sociale; des coûts de plusieurs centaines de millions annuellement (les chiffres varient, mais disons au moins 200 millions).

La Ville a certes des nouveaux pouvoirs de taxation. Elle peut taxer les billets de spectacle et les parcs de stationnement. Elle peut aussi imposer des péages au centre-ville, comme à Londres. Mais elle ne le fera probablement pas : si Montréal est en concurrence avec le 450, Toronto l'est avec son 905. Depuis 15 ans, 100 000 emplois ont fui Toronto pour sa banlieue et la chambre de commerce accuse la Ville d'en être responsable par ses taxes trop élevées.

Au plus, si elle exploite tous ses nouveaux outils de taxation, la Ville ira chercher 50 millions. On ne va pas doubler le réseau de transports en commun avec ça (c'est ce qu'on voudrait faire ici).

Au-delà des aspects techniques, les gens de l'hôtel de ville pensent avoir réussi une petite révolution dans les rapports de force entre les ordres de gouvernement, changement dont on ne verra les conséquences que dans des années.

Toronto se présente maintenant non plus seulement comme une "ville", mais comme un "gouvernement" à part entière. Le sixième en importance au Canada, par la taille de son budget, dit-on fièrement. Et ces nouvelles responsabilités font de David Miller un "super-maire".

Bien entendu, il s'en trouve pour juger que l'ego du maire a gonflé avec ses nouvelles prérogatives. Le maire a déjà un cabinet de 18 personnes. Il veut en embaucher cinq autres, malgré le gel des embauches décrété par son administration.

Il faudra loger tous ces gens et, lundi, le débat au comité exécutif de la Ville portait sur les rénovations de 6,2 millions sur deux ans prévues pour réaménager ses bureaux à l'hôtel de ville (déjà pas mal mieux chauffé que le bureau janséniste du pauvre maire Tremblay) et une salle pour les médias. " On n'a pas d'argent pour les terrains de jeu, mais on en a pour ça! C'est inacceptable! " criait un conseiller municipal.

Réponse du maire : "Je ne suis plus seulement le maire de Toronto. Je suis son président-directeur général (CEO)!"

De ce nouveau rapport de force, de cette reconnaissance du statut unique de Toronto, le maire Miller entend maintenant obtenir de l'argent d'Ottawa et de Queens Park. La vraie joute ne fait que commencer.

Le maire me montre un chantier de construction : "Voyez tout ce monde qui travaille. Dans tout ce chantier, il n'y aura rien pour la Ville. Ottawa et le gouvernement provincial vont toucher des taxes et des impôts, mais nous, rien. Quand un congrès vient ici, il faut payer pour la police, l'entretien, etc., mais tous les revenus vont aux autres gouvernements. Il faut que ça change. "

Eh oui, on a entendu la même chose la semaine dernière dans la bouche de Gérald Tremblay.

Au fait, M. le maire Miller, y a-t-il quelque chose que vous enviez à Montréal? Il a répondu spontanément : " Oui : sa personnalité et sa réputation internationale sont très fortes; nous avons à travailler là-dessus. "

Sur ce, il est entré dans la salle du Arts Exchange, lieu culturel au coeur du quartier des affaires, pour annoncer LuminaTo, un grand festival culturel qui aura lieu au mois de juin (une centaine d'événements en films, danse, musique, arts visuels, théâtre).

Gérald Tremblay a raison de dire que, fondamentalement, Montréal est aux prises avec les mêmes problèmes que Toronto.

Mais la métropole canadienne, sortie depuis longtemps des querelles de fusions, a pris une sacrée avance dans la réflexion et dans l'action pour que les choses changent.