Et alors, ce marathon ? Euh... J'aimerais bien vous dire que ce fut une épiphanie, un moment de pure transcendance.

Non. Pour résumer ça vite fait, ce fut une très, très longue course, très belle aussi, avec plein de crampes vers la fin.

«Vous entraîner pour un marathon changera votre vie», peut-on lire dans les livres sur la course. N'en mettez pas trop, s'il vous plaît, apôtres du fond. Ça change un horaire, ça, oui. Ça fait garder la forme et ça aère l'esprit. C'est une dope sans pareil et sans effet secondaire.

 

Mais soyons sérieux : tu restes à peu près le même nono qu'avant, qui pense défier les lois immuables de la physique et du sport. Et tu pars un peu trop vite.

Bof, quelques secondes de plus au kilomètre, quelle différence ? Aucune en ce moment, et quel temps nous attend ! On se frotte déjà les mains. Hé, hé, hé.

Tout est si facile, d'ailleurs, dans la première moitié, pour peu qu'on soit le moindrement bien entraîné !

* * *

On passe devant le maire Tremblay au départ, qui encourage les coureurs avec un enthousiasme légendaire. Il aperçoit un coureur mexicain et se penche vers lui : «Go Mexico !» Pour moi, ils n'ont pas encore entendu parler du maire du Tremblay à Mexico. «Pas moyen de le trouver antipathique, celui-là», opine mon voisin de course. Moi, je ne parle pas quand je cours, mais je n'en pense pas moins.

En fait, oui, j'en pense un peu moins. Des grands bouts, je ne pense absolument à rien. Je me répète le couplet d'une mauvaise chanson pendant qu'on arrive dans l'île Sainte-Hélène. Je regarde ma montre. Tiens, déjà 7 km de faits. Déjà le pont de la Concorde, qui est tout de même l'entrée la plus spectaculaire de la ville.

Qui a dit que le parcours du marathon n'est pas beau ? Pas moi. Je le trouve même plutôt beau et pas trop menteur. Je veux dire qu'on ne se cantonne pas dans les coins touristiquement corrects. C'est très Montréal.

On passe dans le secteur du bassin Peel. On va dans le Vieux, mais sans insister. On passe rue Frontenac, boulevard de Maisonneuve, rue Sainte-Catherine dans le quartier gai, le Plateau mais sur la bordure, le parc La Fontaine, le boulevard Saint-Joseph, Saint-Laurent dans un de ses segments les moins intéressants, et puis... et puis c'est la rue Bellechasse.

* * *

Belle chasse dont on est le gibier. C'est la zone rouge. Les 30e, 31e km. Je regarde ma montre. J'ai ralenti un peu, mais on sort d'un long faux plat. On est sur un plateau, tout ira en descendant maintenant ! Je me jauge. La mécanique tient bon. Bon, on va rattraper vite fait ce ralentissement, n'est-ce pas ?

On arrive rue des Carrières, près des voies ferrées. Trente-deuxième kilomètre. Il y a une odeur de bran de scie et de condos neufs.

Et c'est là que Newton et tous les entraîneurs du monde me sont tombés dessus avec les lois immuables de la physique et du sport.

Mur ? Je ne sais pas. Je veux dire que je n'ai pas ressenti ce désespoir raconté par les coureurs, ces étourdissements, ce goût d'abandonner. Mais des crampes, oh, des crampes comme je n'en ai jamais connues et qui jouent au tennis. Du mollet à la cuisse au mollet, et d'une jambe à l'autre. Smash !

Rendu là, il n'y a plus de peloton. Que des coureurs éparpillés. On n'entend même plus le clapotis des souliers sur l'asphalte.

On est un peu, comment dire, pas nombreux dans ses souliers.

Je crois que j'ai poussé un petit cri. Rien de sharapovesque, juste un inélégant «Adjyoye !» Fallait arrêter. Je n'avais même pas le choix.

* * *

Les experts vont rire si je dis que, à part ça, je n'étais pas fatigué. C'est ça, la fatigue, nono. Je sais. Je veux dire que je ne transpirais pas comme un damné, je voulais pousser absolument, j'étais de bonne humeur... mais le béton précontraint me montait dans les muscles.

Parlant de béton précontraint, n'est-ce pas justement l'oeuvre de M. Taillibert qui jaillit au loin, au bout de la rue Rachel ?

Ouais. Ben beau, le stade. J'ai dû arrêter trois, quatre fois pour faire passer les crampes en marchant.

«Hey, rien que sept kilomètres, y a rien là !» m'a crié un badaud. Ben oui ! Venez donc les courir, monsieur Chose, les sept kilomètres, avec les jambes cimentées !

On arrive à Pie-IX. Des gens crient mon nom. Hé ! Mon frère, mes soeurs sont là ! Mon grand frère a couru 200 mètres avec moi. Je ne sais pas si vous avez déjà couru avec votre grand frère et des jambes en ciment, mais c'est à essayer. J'ai eu des frissons, ça m'a décimenté passablement et je me suis mis à accélérer sur Pie-IX.

Sauf que Newton et tous les entraîneurs du monde entier m'ont doublé sur la gauche : Euh, s'cuse, mais on te signale à nouveau que tu as défié les lois immuables de la physique et du sport. Ralentis, bonhomme.

Comme si j'avais le choix.

Rendu à Rosemont, il ne reste que 3 km, et ça descend tout le long ! Facile ! Faut tout de même mettre un pied devant l'autre et c'est tout un art, surtout l'autre.

Voici l'entrée du stade. Je cours comme je peux. Moi qui étais parti sur une base de 3 h 45, j'étais menacé de dépasser les quatre heures... Hé, mon fils était là, pour finir la course avec moi, et sa mère, et plein d'autres gens que j'aime. Autre frisson. Je regarde ma montre : 3 h 59.

Je suis content. Mais le même nono, en plus expérimenté.

J'ai déjà hâte au prochain.