Pour commettre un crime aussi horrible et en rire par la suite, sans doute faut-il être profondément malade. Mais la folie psychiatrique n'est pas la folie légale.

Si Francis Proulx a été déclaré coupable du meurtre prémédité de Nancy Michaud, mercredi, c'est qu'il ne suffit pas d'obtenir un diagnostic psychiatrique pour éviter une condamnation devant la cour criminelle.

Ce qu'on appelait autrefois la «défense de folie» a changé de nom. On parle maintenant de «troubles mentaux». Mais quant à la définition, les choses n'ont pas tellement changé depuis 150 ans.

On reconnaît en effet qu'une personne qui ne sait pas ce qu'elle fait n'a pas pu formuler une intention criminelle. Elle ne peut donc pas être déclarée coupable d'un crime. On doit plutôt l'envoyer en institution psychiatrique pour une période indéterminée.

Comme tout le monde est présumé sain d'esprit, l'accusé qui invoque cette défense doit lui-même faire une preuve de ses troubles mentaux. Il doit démontrer qu'au moment du crime ces troubles le rendaient «incapable de juger de la nature et de la qualité» de ses gestes. Ou bien qu'il ne pouvait pas savoir que ses gestes étaient «mauvais».

Autrefois, on disait qu'il était incapable de faire la différence entre le bien et le mal. On parlait d'acquittement, alors que maintenant, celui qui convainc le jury est déclaré «non responsable».

Mais c'est le jury qui décide, après avoir entendu les experts. Et c'est le même sens commun qui s'applique généralement, peu importe les tournures de phrases des juristes. Est-ce que Proulx savait ce qu'il faisait? Était-il conscient de faire quelque chose de moralement répréhensible?

Et à cette question ils ont répondu oui, sans grande surprise.

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Sans surprise d'abord parce que la preuve appartient à l'accusé en la matière et qu'elle n'est pas facile à faire. Le système (comme les gens en général) ne veut évidemment pas qu'il soit facile d'échapper à sa responsabilité criminelle. Il faut généralement avoir la preuve d'une perte de contact avec la réalité, d'un délire grave pour convaincre un jury. Les cas sont rares.

La deuxième raison est que la thèse de la défense reposait sur une preuve scientifique apparemment très mince: l'effet combiné de l'antidépresseur Effexor et du syndrome de la Tourette chez Proulx faisait tomber ses inhibitions. Même l'expert de la défense a déclaré qu'il n'y a «aucune information valable avec une base scientifique concernant le lien entre les antidépresseurs et la violence».

Une autre experte de la défense a avancé que Proulx n'allait pas chez Nancy Michaud «avec l'intention de tuer», mais que tout est arrivé à cause d'un enchaînement de mauvaises réactions de la part de Proulx.

Bien des meurtriers peuvent en dire autant. Bien des cambriolages, des agressions sexuelles, des introductions par effraction ont dégénéré en meurtre à cause d'erreurs de jugement graves du criminel, qui n'avait pas l'intention d'être un assassin en se levant... mais qui l'est devenu néanmoins. Pas besoin d'être sous l'effet des médicaments pour cela, le jury le sait comme vous et moi.

Et puis, il y a eu cet épisode spectaculaire (vu de Montréal), comme on n'en voit que dans les films: le témoin clé de la défense, le psychiatre Louis Morissette, qui vient avouer avoir menti à la cour.

Autant, sur le coup, je me suis dit que le procès était fini dès cet instant, autant je crois qu'il n'a rien changé au bout du compte. C'est sur un sujet secondaire qu'il a menti. Il a dit à la cour avoir écouté l'enregistrement du contre-interrogatoire de Proulx - alors que la chose était impossible.

Sa crédibilité a été ébranlée, puisqu'on a pu avoir l'impression qu'il disait n'importe quoi pour convaincre le jury qu'il avait raison, qu'il savait de quoi il parlait.

Mais avant cela, son témoignage lui-même laisse songeur. Pour lui, la consommation d'Effexor est ce qui a amené Proulx à tuer Nancy Michaud. Pas d'Effexor, pas de meurtre. Mais il n'a pu citer une seule étude, un seul autre cas. Je doute fort que le jury ait marché dans ses pas mal assurés.

En attendant, je me demande toujours ce qui l'a poussé à mentir, sinon une poussée d'orgueil narcissique, lui qui a une brillante carrière à l'Institut Philippe-Pinel. C'est souvent un contradicteur de la thèse dominante, il est généralement appelé par la défense, mais c'est un psychiatre compétent qu'on a vu très souvent témoigner. On ne risque pas de le revoir de sitôt à la cour.

De son côté, la poursuite a fait entendre un expert selon qui l'accusé savait très bien ce qu'il faisait. Et pourtant, il fait à peu près le même diagnostic que ses confrères, il reconnaît la gravité de sa situation.

Seulement, même avec de très sérieux problèmes psychiatriques, on ne passe pas nécessairement le test de la loi, le test de la «non-responsabilité». Ce verdict-là le redit.