Jacques Duchesneau est sorti presque aussi vite de la politique municipale qu'il y est entré. Et l'ancien chef de police n'a pas de jolies choses à en dire. Il regarde sans joie mais sans étonnement les récents imbroglios à l'hôtel de ville de Montréal.

«Je vois bien le désengagement des citoyens, dans toutes les municipalités. J'ai le goût de dire aux gens: réveillez-vous! Si vous ne vous occupez pas de la politique, elle va s'occuper de vous», me dit-il de la retraite où il termine une thèse de doctorat sur la prévention du terrorisme.

 

Il ne se prononce pas sur la situation actuelle à l'hôtel de ville, mais il se souvient de ce qu'on lui disait en 1998. «Des propriétaires de parkings me disaient qu'ils devaient verser de l'argent dans des enveloppes. Des entrepreneurs qui faisaient des affaires partout dans le monde me disaient: c'est drôle, je n'ai jamais de contrat à Montréal! D'autres me confiaient qu'ils recevaient des menaces s'ils participaient à des appels d'offres. Encore maintenant, c'est curieux, je me promène en ville et ce sont toujours les mêmes qui font des travaux publics... Ils doivent être meilleurs que les autres, j'imagine...»

L'ancien chef de police affirme qu'il n'a plus d'ambition politique, et que, de toute manière, il n'habite plus Montréal. Et puis, l'expérience a été pénible. «J'ai réalisé que j'ai fait mal à ma famille, mes enfants en ont souffert. Les motards m'ont suivi toute la campagne, il y avait des croix gammées sur mes photos... Pas de très beaux souvenirs.»

Valises et porte-valises

En 1998, un mois avant l'élection qui allait reporter Pierre Bourque à la mairie, la campagne de l'ancien chef de police virait au désastre. Il piquait du nez dans les sondages. Les hommes d'affaires qui avaient promis leur appui se défilaient. Et comme de raison, les coffres étaient vides.

«Des gens de mon organisation sont venus me dire qu'on se faisait offrir de l'argent. Je vous parle d'argent cash, de valises d'argent pour la campagne. J'ai évidemment refusé. Je suis entré en politique exactement pour combattre ça!»

Qui donc étaient ces généreux donateurs? Que ce soit la firme unetelle ou telle autre, le but de l'opération est de s'acheter un bout de la mairie, on l'aura compris.

«Si une firme vous donne 50 000$, ce n'est pas pour vos beaux yeux et je doute que ce soit pour la démocratie. Ils veulent quelque chose, et généralement pas quelque chose de légal. Ils veulent en avoir pour leur argent! Sauf que s'il y a des kickbacks sur les contrats, c'est vos taxes qui paient pour ça!»

«Je ne cherche pas d'excuse, je ne suis pas amer, et c'est par ma faute que j'ai perdu. À la fin, j'avais une attitude agressive, mon message ne passait pas. Je vous dis seulement ce que j'ai vécu.»

Le silence

Jacques Duchesneau, qui a pris l'an dernier sa retraite de l'Administration canadienne de la sûreté du transport aérien, est convaincu que la corruption est une réalité bien ancrée dans la vie municipale au Québec.

«Je suis entré dans la police en 1968, à une époque où on venait de découvrir des policiers qui acceptaient des pots-de-vin. J'ai été marqué par ça. Mais partout où des gens exercent un pouvoir, il y a un risque de corruption. Les gens ne veulent pas parler, ou seulement sous le couvert de l'anonymat, parce celui qui paye comme celui qui est payé n'a pas intérêt à parler. Mais c'est une réalité.»

«Je ne dis pas que c'est partout, et quand c'est le cas, je ne dis pas que les politiciens sont dans le coup. Ça peut venir de leur appareil politique, de leur organisation, ça peut être des combines de la bureaucratie. Le maire ne peut pas tout savoir ce qui se passe dans sa ville, surtout à Montréal.»

Il est convaincu de l'honnêteté de Gérald Tremblay, avec qui il lui est arrivé de travailler. «Et avant de dire que quelqu'un est honnête, je fais bien attention, j'ai été déçu trop souvent, dit l'ancien policier. Mais il y a peut-être des gens qui jouent leur game sans que le boss le sache...»

Quoi faire, alors?

«Les lois peuvent contribuer, comme celle sur le financement des partis politiques, mais elle est contournée constamment. Avec le niveau de désengagement (45% de participation aux élections municipales de 2005), il faut en faire des soupers spaghetti avant de financer sa campagne. Il y en a qui voient la corruption comme un mal nécessaire, pas si grave au fond, ce n'est pas mon cas. Mais ça dépend ce qu'on veut comme société.»

«Ce qu'il faut, c'est que les gens en politique indiquent clairement leurs limites, qu'ils se définissent et qu'ils définissent les règles du jeu, pour leur entourage comme pour le public.»

Parce que ni les lois, ni les codes n'injectent de l'éthique dans le coeur humain...

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Photo: André Pichette, La Presse

Jacques Duchesneau: «En 1998, j'ai été un sauveur, m'a confié Jacques Duchesneau. Aujourd'hui, je n'y crois plus.»