Si on pousse quelqu'un à la porte parce qu'il gonfle des factures et qu'il a des liens avec des gens du crime organisé, pourquoi lui donner 140 000$ en indemnité de départ?

C'est ce qu'a fait la FTQ avec le directeur la FTQ-Construction, Jocelyn Dupuis, en septembre dernier.

D'abord, évidemment, c'est pour que tout reste bien secret. Ensuite, c'est parce que la direction de la FTQ a l'air un peu mêlée dans ses principes et son copinage.

 

Le Fonds et la FTQ

Prenons un exemple. De la partie gauche de son cerveau, la FTQ dénonce la construction du nouveau CHUM en partenariat avec le privé. De la partie droite de son cerveau, la FTQ prie pour la réalisation du partenariat: elle est partenaire d'un soumissionnaire.

Car le président du conseil d'administration du Fonds de solidarité est aussi le président de la FTQ, Michel Arsenault. Il doit se passer de drôles de choses dans la tête de M. Arsenault.

Le Fonds est partenaire de la moitié de l'entreprise de construction Simard-Beaudry, membre d'un consortium qui tente d'obtenir le contrat du nouvel hôpital.

Pas facile.

Ça devait arriver un jour, remarquez bien, depuis que la FTQ a décidé, il y a bientôt 30 ans, de créer un fonds qui allait investir dans diverses entreprises. On ne serait plus dans la «pureté syndicale». Ce n'est pas une contradiction insurmontable. À la limite, cela montre l'indépendance du Fonds par rapport à la FTQ.

L'ami Accurso

Mais pour ajouter une couche d'embarras à l'affaire, il se trouve que M. Arsenault copine depuis des années avec un des magnats de la construction au Québec, Antonio Accurso. M. Accurso (ou ses sociétés) détient l'autre moitié de Simard-Beaudry. Le Fonds a aussi des intérêts dans deux autres sociétés de M. Accurso. Et c'est une société de M. Accurso qui a construit le siège social de la FTQ et du Fonds, boulevard Crémazie.

Amis de longue date, MM. Arsenault et Accurso se fréquentent régulièrement. M. Accurso visite souvent M. Arsenault sur son bateau et, en novembre dernier, M. Arsenault a été invité sur le bateau de M. Accurso dans les îles du Sud.

Quand on sait l'importance énorme de M. Accurso dans le monde de la construction au Québec, on peut s'étonner de voir le président de la FTQ aller faire un tour sur le bras dans son bateau de luxe.

M. Accurso avait également invité l'ex-président de la FTQ-Construction, Jean Lavallée.

Le même Lavallée est lui aussi ami de M. Accurso. M. Lavallée se retrouvait régulièrement, apprend-on, dans un restaurant du complexe Le Tops, à Laval, propriété de M. Accurso. Il y allait avec le directeur général de la FTQ-Construction, Jocelyn Dupuis, celui-là même qui a été mis à la porte en septembre moyennant une indemnité de départ.

Copinage

De tout ceci, il ressort assez clairement que M. Accurso a entretenu des liens personnels privilégiés avec les personnages clés du syndicalisme de la construction au Québec. Pourquoi? Par pure amitié, peut-être. Par intérêt très évident aussi, pourrait-on penser. Pour qu'un chantier fonctionne, il faut que les corps de métiers soient bien alignés, il suffit de rénover sa salle de bains pour le comprendre.

M. Arsenault n'est soupçonné de rien, sinon de manque de jugement. M. Lavallée, lui, a quitté l'automne dernier pour prendre sa retraite à 68 ans. Mais c'est tout de même lui qui a signé sans sourciller des piles de relevés de dépenses spectaculaires de son directeur Jocelyn Dupuis - qui lui fait l'objet d'une enquête. Peut-être voulait-il que la chose reste discrète?

Je reviens donc à ma question: pourquoi diable payer une indemnité de départ à un employé mis à la porte à cause d'une enquête policière?

La question se pose d'autant mieux que, cette semaine, le président de la FTQ nous dit qu'il veut récupérer les sommes versées en trop en remboursement de dépenses. Il était moins scrupuleux l'automne dernier.

Zampino et Accurso

M. Accurso ne copine pas seulement avec les syndicalistes. J'apprends que Frank Zampino, quand il était encore président du comité exécutif de la Ville de Montréal, est allé en vacances dans le Sud avec M. Accurso. «Je ne commente pas ma vie privée», m'a dit hier M. Zampino, qui est maintenant numéro 2 chez Dessau.

On peut bien avoir les amis qu'on veut, en effet. Mais dans la fonction névralgique qu'il occupait, M. Zampino devait faire attention aux apparences. Une société de M. Accurso faisait partie du consortium qui a obtenu le contrat des compteurs d'eau, une affaire de 350 millions, le plus gros contrat jamais consenti par la Ville.

Sachez aussi que la firme d'ingénierie Dessau faisait également partie du consortium. Et voilà M. Zampino qui passe directement de la Ville à Dessau. Il n'a pas le droit de faire de lobbying pendant deux ans, précise-t-on.

Pas nécessaire! Les firmes d'ingénieurs ne font jamais de lobbying! Figurez-vous que, depuis l'adoption de la Loi sur le lobbyisme, en 2002, aucune firme d'ingénierie, ni aucune personne les représentant ne s'est inscrite au registre. Le commissaire au lobbyisme, André C. Côté, s'en étonne d'ailleurs.

En France, on a trouvé un nom pour ce mouvement un peu incestueux des gens des cabinets politiques ou de l'État vers les postes de direction des grandes sociétés qui en obtiennent des contrats: le pantouflage.

Il est chanceux, M. Zampino, il a de bons copains et de belles pantoufles.

Quant à moi, je trouve que les informations convergent depuis assez longtemps pour qu'on commence à s'interroger sérieusement sur les pratiques de l'industrie de la construction, un tiers de siècle après la commission Cliche.

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