Jacques Dupuis a raison de ne pas vouloir transformer l'enquête sur la mort de Fredy Villanueva en bar ouvert pour avocats. Mais il a tort de ne pas faire un effort de plus pour aider d'autres familles à être représentées personnellement.

Le ministre de la Sécurité publique n'a pas voulu d'une commission d'enquête générale sur Montréal-Nord. Les relations entre la police de Montréal et la population locale ne sont pas de son ressort, argue-t-il.

 

Mince explication: Québec a pleine autorité pour ordonner la tenue d'une commission sur tout sujet touchant la sécurité publique. Et à la lumière des événements de l'été dernier, une réflexion plus large sur les relations entre la police et les minorités ne serait pas superflue.

Quoi qu'il en soit, le ministre a plutôt choisi une enquête du coroner, qui sera présidée par le juge Robert Sansfaçon de la Cour du Québec.

Autant une commission d'enquête peut déployer ses ailes sur toutes sortes de sujets connexes à son mandat, autant une enquête du coroner se situe dans un corridor étroit.

L'enquête ne portera donc que sur les causes et les circonstances de la mort de Fredy Villanueva, tué par des policiers dans un parc de Montréal-Nord l'été dernier. Les causes médicales ne feront pas un long débat. Restent les circonstances. Mais les circonstances immédiates.

On va donc disséquer l'événement lui-même en appelant à la barre une soixantaine de témoins. On prévoit que les auditions dureront trois semaines. L'affaire, réduite à cet incident, est en effet assez simple. Il n'est pas question d'explorer, sauf par la bande, le contexte plus large des relations interraciales ou du travail policier en général à Montréal-Nord.

Dans ce type d'enquête, les «personnes intéressées» peuvent témoigner, demander d'assigner des témoins et contre-interroger les témoins - mais toujours dans les limites du mandat.

À ce jour, le coroner a reconnu plusieurs personnes intéressées: les deux policiers directement impliqués dans l'événement, la famille Villanueva, le Service de police de Montréal, la Fraternité des policiers, ainsi que quatre jeunes: deux qui ont été blessés par balle lors de la fusillade et deux autres qui, sans avoir été blessés, ont été arrêtés après l'événement.

Aujourd'hui ou d'ici quelques jours, le juge Sansfaçon dira s'il reconnaît également la Ligue des Noirs et la Ligue des droits et libertés.

Tous ces gens ou organismes auront le droit de parler et de poser des questions.

Normalement, l'État ne paie pas les frais d'avocats des personnes intéressées. Le coroner est assisté par un procureur de grande expérience (François Daviault) qui a le mandat de poser des questions dans l'intérêt général, pour exposer tous les faits de l'affaire. Il représente toute la société.

Rien dans la loi ne permet au coroner d'ordonner à l'État de payer les frais d'avocats de quiconque. L'Aide juridique ne peut pas le faire non plus. Rappelons que ce n'est pas un procès, personne n'y est accusé, même si bien des droits et des réputations sont en jeu.

C'est donc une décision discrétionnaire qui appartient au ministre. M. Dupuis a clairement peur de créer des précédents coûteux. Dans un but «humanitaire», il a décidé de payer les frais d'avocats de la famille Villanueva. Mais pas les frais des autres.

Techniquement, il a raison: ce n'est qu'une enquête du coroner et Me Daviault va faire les choses très bien.

Mais il a tout de même tort.

Pour les gens de Montréal-Nord, et pour tout le monde en fait, il importe peu que ce ne soit «qu'une enquête du coroner». Ce sera le moment où l'on exposera en public les faits de cette affaire qui a coûté la vie à un jeune homme, qui en a blessé deux autres sérieusement et qui a laissé des marques profondes.

C'est le ministre qui a choisi de restreindre la portée de l'enquête. Il devrait faire un compromis et payer les frais des familles des deux blessés pour la (courte) durée de l'enquête. L'avocat Jacky-Éric Salvant disait représenter les deux blessés à lui seul, lundi, ce qui serait une autre forme de compromis bienvenu.

Trois semaines d'audiences, quelques jours de préparation au tarif de l'Aide juridique, ce n'est pas un effort financier insurmontable. Ce n'est pas cher payer pour que ces jeunes se sentent respectés dans cette enquête, quel que soit son nom, et qu'elle commence avec un minimum de sérénité.

Pour joindre notre chroniqueur: yves.boisvert@lapresse.ca