Est-ce que l'acquittement de Stéphan Dufour ouvre la porte à la légalisation du suicide assisté?

Pas du tout. Quand on examine les faits de cette cause, le verdict prononcé hier à Alma paraît bien plus qu'un acte de sympathie. Il semble au contraire parfaitement fondé juridiquement.

On n'est donc pas ici devant une «affaire Morgentaler» du suicide assisté. Par trois fois, le fameux médecin montréalais avait été acquitté par jury du crime d'avortement dans les années 70. Les juges avaient rejeté sa défense de nécessité, mais les jurés avaient outrepassé ces directives, envoyant un puissant message politique. À partir de 1976, on n'a plus porté d'accusation de ce type au Québec et, en 1988, ce crime tel qu'il était rédigé a été déclaré inconstitutionnel.

 

Le cas de Dufour est sans commune mesure. Il y avait amplement place au doute raisonnable le plus classique, tout simplement.

Un enfant

Avant de parler philosophie, examinons les faits. La victime, M. Chantal Maltais, souffrait de poliomyélite depuis son jeune âge. Cloué à un fauteuil roulant, privé de l'usage de ses membres, il souffrait le martyre et avait fait plusieurs tentatives de suicide, notamment en consommant des médicaments. La preuve a démontré qu'il avait demandé à plusieurs proches de l'aider à s'enlever la vie. Tous ont refusé.

Finalement, il a choisi une cible plus facile, son neveu Stéphan Dufour. Lui aussi a refusé, mais Maltais l'a harcelé et lui a finalement ordonné d'installer un collier de chien sur la tringle de son placard. Le collier était relié à une corde et à une chaîne, et l'homme pouvait lui-même se pendre.

«Je lui conseillais de prendre du temps... des gens l'aimaient...» a dit l'accusé aux policiers, à qui il a parlé sans même consulter d'avocat.

Un psychologue a dit que Dufour souffre d'un retard mental. Son QI est de 67 - la moyenne est de 90 à 110. Il est «comme un enfant» et très influençable, a dit le psychologue Hubert Van Gijseghem, qui l'a rencontré.

Cela, tout le monde qui le connaissait à Alma le savait. «C'est un petit oiseau qui a les ailes cassées», a dit un témoin.

Cette opinion a été contredite par le psychiatre Benoît Croteau, qui a dit qu'on ne peut se déresponsabiliser ainsi. Fort bien. Seul hic, cet expert de la poursuite n'a pas fait la moindre entrevue avec l'accusé. Étonnant, tout de même, qu'un médecin psychiatre puisse émettre une opinion sur un être humain sans le rencontrer. Faute d'émouvoir le Collège des médecins, cela mine évidemment la force de ce genre de témoignage.

Quoi qu'il en soit, on est en présence d'un doux, d'un simple d'esprit, influençable, manipulable. Il n'était pas présent au moment du suicide. Il a installé le dispositif, certes, mais il a fait promettre à son oncle de ne pas l'utiliser. «On s'en reparle demain», a dit l'oncle.

Le lendemain, en arrivant à l'appartement, Dufour a vu le fauteuil roulant vide. Il n'a pas osé entrer dans la pièce. Il est allé chercher sa mère. C'est elle qui a trouvé son frère mort.

Intention coupable?

On a évidemment de la sympathie pour l'accusé. Mais ne résumons pas ce verdict à un acte de pure compassion.

Le crime consiste à aider une personne à se suicider ou à la conseiller en ce sens. Techniquement, il n'y a pas de doute que Stéphan Dufour a aidé son oncle. Mais pour être déclaré coupable, il faut avoir l'intention d'aider quelqu'un à s'enlever la vie.

Or, avec ce type de personnalité (déficience intellectuelle, vulnérabilité à la manipulation, naïveté excessive), devant la crainte que l'accusé pouvait avoir de la colère de Maltais, on peut vraiment soulever un doute sur son intention.

Quel impact ce verdict aura-t-il, donc? Juridiquement, aucun. Le Code criminel est inchangé. C'est une question de circonstances et celles-ci, comme toujours, sont uniques.

À Montréal, Marielle Houle a été déclarée coupable du même crime pour avoir préparé le suicide de son fils, Charles Fariala, atteint de sclérose en plaques, en 2004. On lui a infligé trois ans de probation.

À Sherbrooke, en 2006, André Bergeron a été condamné également à un sursis et à une probation pour avoir aidé sa femme handicapée, qui s'appelait également - curieux hasard - Marielle Houle.

Ils avaient, dans les deux cas, été présents du début à la fin et avaient participé activement au suicide. Ce qui n'était pas le cas de Stéphan Dufour.

Le débat? Quel débat?

Contrairement à ce que certains médias ont annoncé à l'ouverture de ce procès, cette cause n'était donc nullement un «débat sur le suicide assisté». Un procès criminel n'est pas un débat philosophique. C'est d'abord un exercice qui consiste à déterminer s'il y a une preuve hors de tout doute raisonnable qu'un crime a été commis. Le jury a répondu non et, selon ce qu'on a pu lire du procès dans Le Quotidien, c'était une réponse parfaitement raisonnable. La loi n'était nullement remise en question ni attaquée au point de vue constitutionnel.

Ce qui n'empêche pas de relancer le débat à l'extérieur des tribunaux. Débat depuis longtemps repoussé.

Sauf que, si jamais on en vient à adopter une loi comme en Belgique sur le suicide assisté, le crime d'incitation et d'aide au suicide demeurera. Là où il est permis, le suicide assisté se fait de manière très encadrée médicalement et juridiquement. L'interdiction demeure pour les autres cas, pour empêcher les abus, protéger les plus faibles et la vie humaine.

Dans le cas de Dufour, le jury a peut-être observé avec intérêt que c'est le plus faible qui s'est retrouvé au banc des accusés.