Coup de téléphone de Gilles Duceppe, hier matin. Il conteste mon interprétation de l'entente qui lie le Bloc au Parti libéral et au NPD jusqu'en 2010.

J'y disais que le Bloc prenait le risque d'avoir les mains liées en cas de contentieux entre le gouvernement du Québec et celui d'Ottawa.

 

Or, dit M. Duceppe, l'engagement du Bloc est très limité et ne couvre peut-être que 2% des votes. Pour tout le reste (justice, sécurité publique, environnement, etc.), le Bloc a les mains libres pour défendre les intérêts du Québec. L'entente prévoit par ailleurs un plan de relance économique largement inspiré par le Bloc et c'est là l'essentiel, dit-il.

Le Bloc s'engage pour un an et demi à ne pas présenter de «motion de non-confiance» et à ne pas voter en faveur d'une telle motion. Il doit aussi «voter en faveur de la position du gouvernement». Mais cet engagement concerne uniquement les votes sur le budget, le discours du Trône et «tout projet de loi de crédit».

Je concède que mon exemple d'une modification constitutionnelle hypothétique demandée par Jean Charest était mal choisi.

Mais un budget comprend nécessairement un arbitrage des ressources financières. Il y en aura deux pendant la période visée.

Le programme de péréquation est traité dans le budget, par exemple. Advenant le cas où le gouvernement fédéral réaménage ce programme en défaveur du Québec, le Bloc ne pourrait voter contre.

À moins, bien sûr, de renier son engagement, de déclencher une autre crise et d'espérer créer un mouvement d'indignation nationale pour relancer la ferveur souverainiste. Ce n'est pas à exclure.

Le budget comprend également des sommes pour les infrastructures, le développement régional, les paiements de transfert et toutes espèces de sujets susceptibles de créer du mécontentement à Québec. Je maintiens donc que le Bloc pourrait se trouver dans une position absurde où il ne pourrait agir contre une mesure que Jean Charest dénoncerait vigoureusement.

Si, par hypothèse, Québec réclamait non pas une modification constitutionnelle mais un «arrangement administratif» pour rapatrier l'argent de la culture au nom de la souveraineté culturelle, on devine qu'un gouvernement libéral de Stéphane Dion ou de Bob Rae (le candidat de Jean Chrétien) n'y serait guère favorable. Supposons que, pour embêter les libéraux, le NPD et le Bloc, un député québécois du Parti conservateur présente un projet de loi réclamant le transfert de ces sommes. Ce serait un projet de loi sur les «crédits». Selon l'entente, le Bloc devrait voter avec le gouvernement.

Les contentieux entre Québec et Ottawa touchent presque tous l'argent. Même s'ils ne requièrent pas tous un vote à la Chambre des communes, on peut facilement imaginer des situations où le Bloc sera embarrassé.

Ce n'est pas l'avis de Gilles Duceppe ni de Jacques Parizeau, qui ont pourtant vu bien des coups fourrés venir d'Ottawa au fil des ans.

Mais Jean Chrétien, un des pères spirituels de cette entente et de la coalition libéraux-NPD, ne voit certainement pas les choses de la même manière. Ce qui est bon pour Jean Chrétien et sa vision du Parti libéral peut-il l'être pour Jacques Parizeau, Gilles Duceppe et le Bloc?

Peut-être est-ce mal poser le problème. À l'heure actuelle, plusieurs parties d'échecs se superposent, tant à l'intérieur du Parti libéral qu'à la Chambre des communes et dans le mouvement souverainiste. Chacun, après tout, prend des risques dans une coalition.

M'est avis néanmoins que les voix qui proclament la «victoire» du Bloc dans cette crise vont trop vite en affaires.

De toute manière, cette coalition verra-t-elle seulement le jour, M. Duceppe?

«La politique, c'est le mouvement», a-t-il répondu prudemment.

Il y en aura d'autres d'ici au 26 janvier...