Gérald Tremblay est-il au courant de ce qui se passe sous son nez? On fusionne et «privatise» deux sociétés paramunicipales gérant 300 millions d'actifs et il ne sait même pas que son contentieux a donné un avis contraire.

Ou bien on lui en a passé une vite, ou bien il en manque de gros bouts.

Hier, en conférence de presse, le maire de Montréal a déclaré que son contentieux (les avocats de la Ville) était d'avis de procéder comme on l'a fait: sans obtenir l'autorisation de Québec.

 

Or, c'est précisément le contraire de la réalité. Le contentieux était d'avis qu'il fallait pour changer ces structures demander l'autorisation du ministère de la Justice - ce que dit en toutes lettres la Charte de la Ville.

Ce qui s'est passé, c'est que Robert Cassius de Linval, directeur des Affaires corporatives de la Ville, a préféré l'avis du professeur Jean Hétu, un des spécialistes les plus connus du droit municipal.

M. Hétu a trouvé un trou dans la loi, réécrite en 2002 après les fusions. Son avis était que, contrairement aux apparences, on pouvait procéder sans demander à Québec.

Il n'y a évidemment rien de mal pour une administration à demander un deuxième avis à l'externe, et même parfois un troisième - il semble d'ailleurs que Fasken Martineau ait émis une opinion sur le sujet, mais M. Cassius de Linval ne nous dit pas quelle en était la conclusion. C'est même très sain à l'occasion. La pensée juridique en vase clos n'est pas nécessairement la plus féconde.

L'important, c'est que ce soit fait de bonne foi, en toute transparence. Et surtout, que les élus puissent bénéficier de tous les avis pour éclairer leur jugement.

Car le moment venu de voter pour fusionner ou non des sociétés d'une telle importance, les élus doivent savoir que le contentieux de la Ville estime l'opération contraire à la loi! S'ils préfèrent l'opinion du prof Hétu, qu'ils le fassent en toute connaissance de cause.

Si, au contraire, on cache les avis défavorables à ceux qui prennent la décision finale, on les trompe. On les pousse dans une direction sans leur exposer les possibles problèmes. Il y a alors lieu de se poser des questions, y compris sur la bonne foi de celui qui cache les opinions défavorables.

Or, dans cette affaire suffisamment nébuleuse pour que le maire décide hier de «geler» les activités de la société, il semble que les élus n'ont pas bénéficié de toutes les opinions.

Pourquoi?

Benoit Labonté est formel: il était au comité exécutif de la Ville quand la décision s'est prise à l'unanimité en 2006 et jamais on ne lui a dit que le contentieux de la Ville s'opposait à cette façon de fusionner ces sociétés paramunicipales. Or, normalement, quand le contentieux émet un avis, il est «toujours joint en annexe» dans les documents remis aux élus avant de voter. Et ce document devient public. Dans ce cas-ci, il n'y avait rien, semble-t-il.

M. Labonté a beau être devenu depuis le chef de l'opposition, ce qu'il dit n'est pas contesté: l'avis n'apparaît pas.

Et encore hier, le maire Tremblay nous dit que, selon l'évaluation du contentieux, tout était correct! Erreur: selon l'évaluation demandée en privé par M. Cassius de Linval, par-dessus la tête du contentieux.

Vous me direz que tout ceci est infiniment technique et vous aurez raison. Quelle importance, après tout, qu'on fusionne ou pas, et qu'on demande l'avis de Québec ou pas? On voulait aller vite, économiser, rendre les structures plus simples, quel mal à cela?

La réponse est en partie dans la suite des événements. De drôles de choses se sont produites après cette fusion entourée d'un gros nuage juridique. Le directeur de la nouvelle société fusionnée est présentement suspendu. Des enquêtes sont en cours.

Avec le peu d'informations disponibles, on peut déjà craindre que cette opération de fusion-transformation n'ait servi à favoriser ou à camoufler des opérations immobilières fort discutables: projets de développement controversés, ventes de terrains de la Ville et avantages engageant la Ville pour des dizaines de millions de dollars.

On verra ce qu'il ressortira des enquêtes. Mais cette bête municipale est mal née et on a des raisons de craindre que ce ne soit pas par hasard, mais au contraire pour une vilaine raison.

À voir avec quelle rapidité, hier, le maire a annoncé le gel des activités de son bras immobilier, on dirait bien que M. Tremblay a peur de la même chose. Il est un peu mêlé, mais cette inquiétude nouvelle a au moins ceci d'encourageant: il va peut-être enfin poser des questions autour de lui...

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