Toute cette histoire sent la corruption. Pour corrompre, nul besoin de commettre un crime. La corruption, dans le langage commun, réfère à un acte malhonnête, commis contre sa conscience. Mais il y a un autre sens, ancien, pas aussi chargé moralement : altérer une chose en la décomposant, c'est la corrompre.

Modifier la forme d'un matériau, c'est le corrompre. Déformer un texte, une structure, c'est corrompre aussi.

Eh ! bien moi je vous dis ce matin que la manière dont on a procédé pour sortir du giron public deux sociétés paramunicipales gérant des centaines de millions d'actif est une forme de corruption, dans l'ancien sens du terme. Une déformation des structures, une trahison du sens de la loi.

On a en effet déformé la loi pour mieux la contourner. Que dit la Charte de la ville de Montréal ? Elle dit que pour fusionner deux sociétés paramunicipales, il faut l'approbation de Québec.

Or, la Ville de Montréal a fusionné la SHDM, qui s'occupe de logements sociaux, et la SDM, qui s'occupe de gérer et développer le parc immobilier considérable de la ville. Deux missions assez différentes, convenons-en, mais le problème n'est pas là.

Le problème est que la Ville l'a fait sans autorisation de Québec. Pourtant, son contentieux, spécialiste de ce genre de questions, disait que l'opération était illégale.

Qu'importe, Robert Cassius de Linval, directeur des affaires corporatives, a demandé une deuxième opinion juridique au privé, celle du réputé professeur Jean Hétu. Cette opinion conclut que les deux sociétés paramunicipales... n'en sont pas !

En effet, la nouvelle Charte de la ville, en vigueur depuis 2002, abolit l'ancienne, celle d'avant les fusions. Or, on aurait omis de mentionner spécifiquement dans la nouvelle Charte que la SDM et la SHDM, qui existent depuis de nombreuses années, sont des sociétés paramunicipales.

Que sont-elles ? Peut-être des choux-raves flottant dans le vide juridique, allez savoir. Toujours est-il que selon cette opinion, l'obligation d'obtenir une permission de Québec pour fusionner des sociétés paramunicipales ne s'appliquerait pas pour ces organismes, mais uniquement pour celles créées après la fusion, donc après le 1er janvier 2002.

Ni les avocats de la Ville (dont certains ont rédigé la Charte !), ni le ministère des Affaires municipales ne lit la loi ainsi. Mais c'est cette interprétation retenue par l'administration Tremblay.

C'est beaucoup plus pratique ainsi : on peut procéder rapidement, sans rien démontrer à Québec. Alors, la Ville a incorporé en organisme à but non lucratif (OBNL) la SDM et la SHDM, puis les a aussitôt fusionnées comme de simples compagnies. Voilà un gros organisme privé qui a pour mandat de gérer l'immobilier municipal, des habitations à loyer modique aux terrains à développer, en passant par les édifices municipaux. On parle d'actifs dépassant les 300 millions.

La beauté de l'affaire est qu'on a cru ainsi, apparemment, pouvoir le soustraire à certains règlements municipaux.

Mais attendez un peu... Un OBNL créé par la ville pour gérer de l'immobilier est, par définition, une société paramunicipale. En les incorporant en 2006, on s'est trouvé à faire de nouvelles paramunicipales. Donc, en suivant la logique de l'expert, elles auraient dû devenir soumises aux règles de fusion de la nouvelle Charte, non ?

Laissons cela. Tout ceci est infiniment technique et n'aurait aucun intérêt s'il n'y avait pas, découvertes par mon collègue Noël, de drôles de choses qui se sont déroulées dans cette société juste après sa fusion. Juste au moment où elle devenait plus opaque.

À tort ou à raison, le directeur de la SHDM a été suspendu cet été, sans qu'on en sache le motif. Des enquêtes sont en cours.

Que la Ville veuille faire plus vite, éviter les délais, on veut bien. Mais qu'alors elle dénonce les lenteurs des bureaucrates de Québec. Dans cette affaire, au contraire, elle s'est comportée comme l'adolescent qui part avec la voiture sans permission, parce que «c'est moins long que de le demander».

Et ça, contre l'avis de ses propres avocats. Et c'est la même administration qui demande plus d'autonomie, qui veut «les pleins pouvoirs», rapatriés de Québec ?

Disons que ce n'est pas le genre de manoeuvre qui inspire confiance. En vérité, c'est au ministère des Affaires municipales de se mettre le nez là-dedans, et vite. Il y a des enjeux considérables, tant au plan financier qu'au plan du développement. Est-on en train de contourner les règles de transparence et d'appels d'offres ? On nous dit que non. Mais encore ?

Mais la corruption des structures, sans passer par la loi, ou l'esprit de la loi, est inquiétante en soi. Les faits qui l'ont suivi sont pour le moins étonnants. Il faut une enquête extérieure pour convaincre les Montréalais que cette corruption «technique», au vieux sens du mot, ne permet pas l'autre corruption.