C'était quatre contre un, mais Stephen Harper n'en est peut-être pas mécontent, tout compte fait.

Il savait bien que les quatre autres allaient lui pleuvoir dessus. Il s'est fait canard et a laissé faire. Aviez-vous déjà vu Stephen Harper sourire deux heures de suite ? Tranquille, pausé, sans complexe, Madame allez-y d'abord, mais si j'insiste... Ah, monsieur Layton, nous avons nos différends, certes, mais j'apprécie votre sincérité...

Comment voulez-vous faire une chicane avec un gars comme ça ?

Ça doit être vrai qu'il a coupé le Pepsi. La caféine ne lui allait pas du tout.

Si bien qu'à la fin, les quatre autres ont fini malgré eux par se fondre dans une sorte de magma de contestation, gommant leurs propres différences. Il y avait le premier ministre d'un bord. Et l'opposition de l'autre.

Ce n'est pas qu'ils n'ont pas essayé. Le plus aguerri du groupe, Gilles Duceppe, un homme pourtant très doué, capable de subtilité, s'est senti obligé de commencer en jouant de la grosse caisse. Deux visions s'affrontent, dit-il : celle de M. Harper... et celle du Québec.

Un peu gros, dites-vous ? Pour un type qui promettait 50 % d'appuis en 2006, et qui est en « remontée » à 39 % ces jours-ci, je trouve bien téméraire cette tentative de s'approprier la vision québécoise. OK, Bush égale Harper, c'était dans le programme, il fallait la placer.

Stéphane Dion, lui, est arrivé avec un plan pour juguler une éventuelle crise financière canadienne. Rien que ça. Et comme dit le proverbe, un loustic avec un plan peut aller plus loin qu'un génie sans plan.

Voyons un peu le plan de Stéphane Dion - que je ne tiens nullement pour un loustic. Il est en trois points. Premièrement, dans les 30 jours, il convoquera les gens de la Banque du Canada et d'autres institutions économiques fédérales. Pourquoi ? Pour voir quelle est la situation. Deuxièmement, il procéderait à une évaluation de la situation. Pourquoi pas ? Et troisièmement, il y aurait un « énoncé de politique économique ».

Êtes-vous rassuré ?

Me semble, bien humblement, que l'idée est d'arriver AUJOURD'HUI avec une sorte d'énoncé économique, fondé sur une évaluation de la situation.

Là où il a été le plus comique, c'est quand M. Dion a dit, sur un ton doucereux : « On s'est toujours bien entendus », en parlant des relations entre Ottawa et Québec, du temps qu'il était membre du gouvernement libéral.

Quelle blague ! Thomas Mulcair, à l'époque ministre libéral à Québec, avait dit qu'après avoir négocié avec Stéphane Dion, il avait de plus en plus de sympathie pour les souverainistes. Demandez à Benoît Pelletier - et à tous les autres - s'ils s'ennuient de cette « bonne entente » avec M. Dion...

M. Dion a donné sa pleine mesure deux fois. D'abord, en martelant à Stephen Harper que tous les experts ont dénoncé son plan de réduction des gaz à effet de serre. Et puis, en dénonçant Jack Layton sur l'Afghanistan : voilà pourquoi, a-t-il dit, vous n'avez pas ce qu'il faut pour être premier ministre ; quand on s'engage sur la scène internationale, on ne peut pas se retirer sans avis.

Sauf que là-dessus, M. Dion ne faisait qu'objectivement appuyer Stephen Harper. Et comme le dit Jack Layton, qu'on peut bien trouver irresponsable, le NPD n'a jamais varié.

Sur l'environnement, point très faible des conservateurs, Stephen Harper a été habile : nous ne pouvons réduire les gaz à effet de serre qu'on a déjà émis... et qui sont la faute des libéraux. Il n'est pas question de subventions à l'industrie pétrolière, dit-il, ni de baisses d'impôt pour elle - mais pour toutes les entreprises, dont les pétrolières.

Sur la criminalité, où Gilles Duceppe a été bon, mais le premier ministre a encore une fois désamorcé l'affaire. Mais non, nous n'enverrons pas les enfants qui se chicanent dans les cours d'école en prison pour la vie, je parle des récidivistes, je pense à un cas en particulier, etc.

Au total, un Harper sûr de lui, paternel, sans agressivité. Comme en plus, chez les anglophones, il était le meilleur en français, il a évité les pièges et sans doute atteint l'objectif qu'il pouvait réalistement se fixer : non pas faire un knock-out, non pas convaincre la majorité qui ne votera jamais pour lui, mais au moins consolider ses appuis au Québec, et reprendre la lutte avec le Bloc pour les deux dernières semaines de campagne.

Stéphane Dion, quoique nerveux, n'a pas été mauvais. Mais que peut-il espérer ? Jack Layton travaille à long terme. Elizabeth May n'ira rien voler au NPD, ni aux libéraux avec cette prestation sympathique, mais sans relief.