Avec un boom pétrolier qui contribue à sa nouvelle prospérité, la Saskatchewan se méfie du Tournant vert. Notre chroniqueur Yves Boisvert a sillonné le pays dans le cadre de la campagne électorale fédérale.

Ça commence quand on essaie de trouver une chambre d'hôtel à Regina. Tout est plein. Du plus grand hôtel au dernier gîte touristique de banlieue. Coup de chance, il reste une place au motel Super 8 (auquel je donnerais plutôt 5,7).

Ça continue au comptoir de location de voitures de l'aéroport. Plus de voitures chez Budget. Ni Avis. Nulle part.

Du motel, j'appelle d'autres concessionnaires en ville. Rien. Un commis compatissant me file un numéro de téléphone. Un Indien à la voix douce vient me chercher au motel. Il m'emmène dans une zone semi-industrielle, au milieu d'une moitié de cimetière d'autos entouré d'une clôture Frost de deux mètres dont on se demande ce qu'elle protège.

Il y a dans cet enclos un garage, sorte d'unité de soins palliatifs pour automobiles. Dans le même enclos, un taudis où il est écrit «Buffet Punjabi, 10$ tout compris». Nous pénétrons au milieu d'un fatras de pièces et de bagnoles démontées. Par la fenêtre, on aperçoit, deux maisons plus loin, le siège social des Hells Angels de Regina inc.

Ici, pour louer une voiture, pas d'inspection du véhicule. Pas besoin de contrat, ni de carte de crédit, ni d'assurance. L'Indien photocopie mon permis de conduire à la va-vite, encaisse 35$ comptant et me donne un vague rendez-vous pour le lendemain.

«Vous êtes chanceux, c'est ma dernière!» me dit-il.

Quelle chance, en effet, de se retrouver sur l'autoroute 6 de la Saskatchewan au volant d'une Malibu qui a 144 000 km au compteur et dont le côté gauche est enfoncé d'un pare-chocs à l'autre.

Je suis venu voir le boom économique de la Saskatchewan. Je suis servi. Tout s'est passé si fort et si vite, ici, que l'offre peine à suivre la demande.

Il n'y a pas que les chambres et les voitures de location qui se font rares. Depuis deux ans, les loyers ont doublé à Regina.

«J'ai acheté ma maison 100 000$ en janvier 2007; la semaine dernière, mon voisin a vendu la sienne, moins belle, pour 225 000$», me dit Jeff, rencontré dans un nouveau resto branché du centre-ville, le Rooftop, ouvert jeudi dernier. Vaste resto-bar-salon, avec une grande terrasse sur le toit et une musique bruyante, l'endroit, grouillant de monde, est à lui seul emblématique du nouvel optimisme de cette province si longtemps classée parmi les pauvres, si longtemps désertée par sa jeunesse et ses cerveaux.

Jeanine, chauffeuse de taxi, me dit que son fils, parti à Calgary, revient vivre ici. L'an dernier, pour la première fois depuis des années, la Saskatchewan a connu un solde migratoire interprovincial positif.

Mais il manque de tout. De maisons, d'appartements, d'hôtels. Surtout, on manque d'employés. «Non seulement c'est difficile de trouver des camionneurs, des vendeurs, des commis, mais c'est difficile de les garder, il y a un roulement incroyable et les salaires sont toujours à la hausse», me dit Sylvain Toutant, maintenant président de la division commerciale de Van Houtte, qui arrivait de Saskatoon quand je l'ai croisé à l'aéroport.

Pourquoi ce boom? Les prix du pétrole, de la potasse, de l'uranium et des céréales, essentiellement. Pour une fois, tout sourit à la province de Diefenbaker.

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Ma Malibu vibrait un peu passé 100km/h, mais bon, c'est mieux que le pouce. J'ai roulé vers le sud-est sur une ligne droite qu'aucun accident géographique ne vient déranger. Je me suis arrêté dans une Co-op pour faire le plein (mon ami du Punjab m'avait donné l'auto aux trois quarts vide).

J'ai demandé au pompiste de quoi on causait, pendant ces élections. Trois retraités de l'endroit sirotaient un café en me regardant par-dessus leurs lunettes. «Les élections? Bof. Mais vous êtes mieux de pas venir nous parler du Tournant vert!»

Après des années de disette, la Saskatchewan sort la tête de l'eau, beaucoup grâce à son pétrole. L'idée qu'on taxe les énergies fossiles, de quelque manière que ce soit, avec quelque plan que ce soit, ne passe tout simplement pas. On le prend personnel, pour ainsi dire.

Ce Tournant vert est un projet de redistribution de la richesse de l'Ouest vers l'Est. Voilà ce que vous entendrez au Tim Hortons du coin comme à la radio, ou ce que vous lirez dans le Leader-Post. Un autre Programme national de l'Énergie -ce programme du gouvernement Trudeau qui a maintenu artificiellement bas les prix du pétrole au tournant de 1980, qui a causé des milliards de pertes à l'Alberta... et une hostilité apparemment éternelle envers les libéraux dans tout l'Ouest.

Il semble bien que les conservateurs aient réussi à convaincre la majorité qu'un gouvernement libéral viendrait couper les ailes de la province au moment où elle décolle.

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J'arrive à Weyburn, ville de 10 000 habitants, connue surtout comme la ville de Tommy Douglas, père de l'assurance maladie. C'est à partir de Weyburn qu'on aperçoit les premières pompes à pétrole dans les champs où broutent des troupeaux de vaches, tandis qu'au loin des moissonneuses-batteuses foncent dans les récoltes.

«Il y a des pompes depuis toujours, mais depuis deux ans, leur nombre augmente de manière incroyable», me dit Valerie Waller, agente d'assurances.

Le prix du pétrole et les nouvelles techniques d'extraction ont fait pousser des pompes et attiré plusieurs grandes sociétés dans la région.

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«J'ai su qu'il se passait quelque chose quand j'ai appris que des gars de Calgary étaient venus acheter l'ancien magasin à rayons, abandonné depuis longtemps», me dit la mairesse de Weyburn, Debra Button, qui me fait visiter les nouveaux quartiers.

Il se passe tellement de choses que la ville n'est plus capable d'ouvrir de nouveaux lots. Elle tente de s'agrandir en grugeant sur les fermes de la municipalité voisine. Mais le prix des terres aussi grimpe en flèche. «Dans les bonnes années, il se construisait cinq ou six maisons à Weyburn, me dit-elle. Depuis deux ans, on a ouvert 127 lots, et on prévoit en ouvrir davantage l'an prochain. Il y a du trafic soudainement, je suis obligée de faire installer de nouveaux feux de circulation, nous ouvrons des rues, nous construisons des égouts, les écoles sont pleines... Il n'y a pas de librairie ni de magasin de souliers, mais nous avons fait campagne pour que Wal-Mart vienne s'installer, et ils sont venus.»

Après un tour de ville ma foi assez exhaustif, où j'apprends qu'il y avait ici le plus grand hôpital psychiatrique au Canada - qu'on s'apprête à démolir- et que le propriétaire du McDonald's, en désespoir de cause, a dû se rendre aux Philippines pour trouver des employés, la mairesse se tourne vers moi et me pose la question qui tue:

«Au fait, avez-vous vu des affiches de libéraux?»

Les recherches se poursuivent.

Courriel: Pour joindre notre chroniqueur: yves.boisvert@lapresse.ca