C'est parfois à travers le personnage le plus inattendu que l'éthique publique se manifeste.Alfonso Gagliano, qui est à lui seul une sorte de manuel à l'envers dans le domaine, vient de permettre à une société d'État d'exprimer son indépendance.

Car s'il y en a pour se scandaliser du prêt obtenu par Alfonso Gagliano pour acheter un vignoble, je trouve au contraire qu'il faut en souligner les aspects étonnamment positifs.Celui-dont-les-libéraux-ne-veulent-pas-prononcer-le-nom, lui qui a été banni de son parti, le politicien avec la pire réputation au Canada depuis le scandale des commandites celui-là a obtenu un prêt d'un demi-million de dollars sous le régime conservateur.

Ces conservateurs qui ont été élus en grande partie en réaction à ce scandale où le nom de Gagliano est écrit en lettres de feu, puisque l'ancien ministre libéral en était le grand responsable.

La semaine dernière, nos collègues nous ont appris que l'ancien politicien a acheté les Blancs Coteaux de Dunham, une exploitation d'une valeur de 734 000$. Là-dessus, la Financière agricole du Canada (FAC) a avancé un prêt de 550 000$.

Soyez assuré, lecteur, que si ce prêt s'était décidé sur une base politique, ni les libéraux, ni les conservateurs, ni les bloquistes, ni le NPD, ni personne n'aurait avancé un sou.

Conclusion: la FAC a pris une décision apolitique, en se fondant sur des critères financiers et agricoles.

N'est-ce pas dans l'esprit de ce que recommandait le rapport de John Gomery? - un autre producteur agricole, au fait Qui sait s'ils ne se croiseront pas à la foire du lac Brome!

Pour une fois qu'il n'y a clairement pas d'influence politique occulte, réjouissons-nous!

De là à boire du Gagliano 2008, il y a un pas que je ne franchirai pas, à moins d'avoir terriblement soif. Ne poussons pas indûment le bouchon du triomphalisme éthique.

Avouons qu'il ne manque pas de front, pour un banni politique. Il n'appellera pas son vin «Coteaux du Danemark», ni «Souvenirs de Saint-Léonard» mais tout simplement «Gagliano».

Réaction des conservateurs à la nouvelle: ils trouvent ce prêt inacceptable. Ils veulent que les prêts soient accordés en tenant compte de la moralité des demandeurs.

«Le fait qu'Alfonso Gagliano puisse recevoir un prêt de Financement agricole Canada est une situation préoccupante», a déclaré Dimitri Soudas, du bureau du premier ministre Harper. Il a ajouté: «Le gouvernement conservateur est d'avis que l'argent doit servir à aider les agriculteurs, et non d'anciens ministres libéraux.»

Évidemment, présenté sous cet angle, on est bien d'accord. Il n'y a pas, j'espère, de programme de prêt «pour les anciens ministres libéraux». Mais un agriculteur est quelqu'un qui fait de l'agriculture, même si c'est depuis la semaine dernière.

Et si on est bien d'accord pour évaluer la moralité des demandeurs de prêt, il faut s'entendre sur un critère objectif, comme une décision judiciaire, par exemple. Et encore: est-ce qu'une personne ayant un casier judiciaire devrait être exclue des programmes de prêt, même si elle présente un projet rentable, même si elle est réhabilitée?

S'agissant d'Alfonso Gagliano, il n'a pas été accusé au criminel, même si le rapport Gomery avait de quoi éveiller des soupçons légitimes.

Il a été blâmé durement et officiellement, certes, et avec raison, puisqu'il a été le manitou de ce système dont on a exposé l'immoralité et dans certains cas, l'aspect frauduleux.

Il n'a évidemment pas démontré une moralité publique suffisante pour occuper à nouveau un poste dans une administration publique, ça me semble évident. Il n'aurait jamais dû être nommé ministre.

Il y aurait scandale, par exemple, si on l'avait nommé administrateur de la FAC.

Mais on n'exige pas le même degré de probité du simple demandeur de prêt que de l'administrateur de société d'État.

À défaut d'un critère objectif (une faillite frauduleuse, des avalanches de poursuites, une condamnation pour fraude, des liens établis avec le crime organisé, etc.), comment un fonctionnaire déterminera-t-il la moralité? Par la réputation? Difficile à appliquer. Bref, aussi attrayante soit cette prise de position (qui défendra Gagliano?), c'est essentiellement de l'esbroufe politique d'avant-campagne électorale.

La Financière agricole du Canada, dont on n'entend guère parler en ville, a des prêts totalisant 15 milliards en ce moment. Les créances sont bonnes à 97%, selon le dernier rapport annuel. Elle a 1400 employés et 100 bureaux partout au Canada, et prête à 50 000 producteurs. Elle a déclaré un bénéfice net de 205 millions l'an dernier.

Rien n'indique qu'on prête à l'aveuglette à des gens à la moralité douteuse. On n'a pas de raison de penser qu'on n'a pas évalué sérieusement le projet du Vignoble Gagliano. Ni que les garanties n'étaient pas valables.

Jusqu'ici, aucune enquête n'a permis d'accuser Alfonso Gagliano. Ce n'est pas à une société d'État agricole de faire ce que la GRC n'a pas réussi à faire après des années d'enquête.

Sinon, on pourrait accuser la FAC de régler des comptes politiques et de prendre des décisions sous la dictée du cabinet du premier ministre. Exactement ce que les conservateurs ont reproché à Jean Chrétien dans l'affaire de l'auberge de Grand-Mère. Exactement ce qu'ils ont combattu.

Ont-ils changé de principes?