Il ne s'en trouvera pas beaucoup pour critiquer le choix de Thomas Cromwell comme juge à la Cour suprême, une nomination annoncée hier par le premier ministre Stephen Harper.

Le juge Cromwell, qui siège à la Cour d'appel de la Nouvelle-Écosse, remplace Michel Bastarache, du Nouveau-Brunswick, qui a pris sa retraite au mois de juin.L'homme de 56 ans est «dans une catégorie à part», a commenté un juriste qui le connaît bien. Le juge Cromwell est bien connu dans la communauté juridique en dehors de sa province. Il siège depuis plusieurs mois à un comité qui rédige des directives modèles que les juges doivent donner aux jurés - tâche obscure, mais délicate et subtile, qui consiste à peser et soupeser chaque mot de l'adresse d'un juge au jury.

Il a également une connaissance intime de la Cour suprême puisqu'il a été adjoint administratif du juge en chef Antonio Lamer.

Avant d'être juge, Thomas Cromwell a été professeur de droit à l'Université de Dalhousie, où il a notamment enseigné le droit administratif. Très réputé comme juriste, il est également parfaitement bilingue. «Il ne parle pas un français d'opérette, il parle un excellent français; il le lit, il en comprend les nuances et il s'intéresse même à la littérature française», a dit un avocat montréalais qui l'a fréquenté.

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Politiquement, cette nomination est un excellent coup pour Stephen Harper. D'abord, il nomme un candidat bilingue, comme l'exigeaient les partis d'opposition. En outre, le juge Cromwell, d'une compétence irréprochable, ne peut pas non plus être soupçonné d'être un idéologue de droite.

On le décrit plutôt comme un pragmatique, un modéré, un homme du centre, politiquement.

Ironiquement, il remplace un juge qui était identifié à l'aile conservatrice de la Cour suprême, Michel Bastarache, nommé par Jean Chrétien.

C'est la deuxième nomination que fait Stephen Harper au plus haut tribunal du Canada (l'autre étant Marshall Rothstein, présélectionné par les libéraux, et seul juge unilingue de la Cour). À nouveau, malgré les critiques que les conservateurs ont pu formuler vis-à-vis de la Cour suprême, trop «libérale» à leur goût, le premier ministre n'indique aucune ambition de faire basculer ce tribunal vers la droite.

On pourrait même arguer qu'avec le remplacement de John Major par le juge Rothstein, en 2006, et de Michel Bastarache par le juge Cromwell, cette année, la Cour suprême est moins à droite depuis l'arrivée des conservateurs!

Après avoir entendu démocrates et républicains, aux États-Unis, parler abondamment de la Cour suprême américaine, qui est un enjeu politique majeur, le contraste avec la situation canadienne est à nouveau frappant. Les conservateurs de Stephen Harper ne donnent pas de signe de vouloir déplacer le débat idéologique vers les tribunaux, même si les discours et certains gestes ont pu le laisser présager par le passé - notamment cette idée de placer un policier aux comités de nomination des juges de nomination fédérale.

Seul hic, le premier ministre a télescopé le processus de sélection mis en place par l'ancien gouvernement.

En 2005, en réponse aux demandes de transparence, les libéraux avaient confié une liste de noms à un comité formé de députés et d'experts afin qu'ils en retiennent trois à soumettre au premier ministre. Ce processus a abouti à la nomination du juge Rothstein par les conservateurs puisque les libéraux avaient été battus entre le choix du comité et le moment de la nomination. Il a ensuite été soumis à une séance de questions en public.

Les conservateurs devaient faire de même cette fois, mais avec un comité de sélection composé uniquement de parlementaires. Finalement, le premier ministre a décidé de laisser tomber cette étape et de soumettre le nouveau candidat à un comité parlementaire qui lui posera des questions en public.

On peut reprocher aux conservateurs d'avoir tardé à enclencher le processus, le juge Bastarache ayant annoncé sa retraite dès le mois d'avril. On peut également leur reprocher d'avoir mis de côté le processus mis en place par les libéraux, qui renforçait le processus de sélection et le dépolitisait.

Mais quel que soit le processus, il y a un consensus: Thomas Cromwell était une sorte de candidat idéal.