Y a-t-il plus ou moins de crimes? Faites le test, vous verrez, ça ne manque jamais. Attendez que le feu de camp soit allumé, que tout le monde soit bien assis sur sa bûche, que les couteaux soient rangés. Et puis, innocemment, posez la question. 

Je vous parie un sac de guimauves que la majorité vous dira que la criminalité augmente. Sauf si vous partez en camping avec des criminologues, ce qui ne vous avancera pas tellement en forêt. Personnellement, j'inviterais plutôt des mycologues.

Qu'importe, comme vous le savez parce que vous lisez scrupuleusement La Presse, la criminalité a officiellement diminué à son niveau le plus bas depuis 30 ans. Il y aura des chutes en bas de quelques bûches.

Pourquoi tout le monde pense qu'elle augmente quand elle diminue?

On vous dira que c'est la faute de la télé et du cinéma.

Moi je dis que c'est la faute de Statistique Canada. Ils le font exprès ou quoi? C'est systématiquement au mois de juillet qu'ils publient leur étude qui nous dit, année après année, que le taux de criminalité diminue. Cette année, conclut-on, la criminalité rapportée par les corps de police a diminué de 7%.

Il faut se méfier des statistiques sur la criminalité. Elles dépendent des dénonciations des gens et des actions policières. Ce n'est pas vrai que 19% de plus d'Albertains ont pris le volant ivres en 2007. Si le nombre d'accusations pour conduite avec des facultés affaiblies a fait un tel bond dans cette province, c'est dû à des opérations policières.

Par ailleurs, certains crimes sont plus ou moins dénoncés selon les époques - comme la violence familiale, par exemple.

Mais le taux d'homicides, lui, ne trompe pas, ou peu. Les meurtres sont presque tous rapportés et constituent une indication du niveau de violence dans la société canadienne.

Il y a eu 594 meurtres au Canada l'an dernier. Pour une population de 33 millions, cela fait un taux d'homicides de 1,8 par 100 000 habitants (c'est autour de 6 aux États-Unis).

Ce taux était de 3 au milieu des années 70. Si on isole le Québec, le nombre de meurtres a été de 90 en 2007. En 1971, c'était 124. En 1975, année record: 225 homicides au Québec. En 1995, il y en eut 135 et l'année suivante, 150.

Les chiffres varient, c'est vrai, mais si on observe les courbes depuis 35 ans, ils varient à la baisse et de manière très marquée.

Après avoir dépassé les 3 par 100 000 habitants, le taux québécois paraissait se stabiliser autour de 2 à la fin des années 90. Il atteignait l'an dernier 1,2. Le taux était de 1,6 en Ontario, également sous la moyenne canadienne.

L'ancien ministre conservateur de la Justice, Vic Toews, attribuait à l'amélioration des soins ambulanciers la diminution du taux d'homicides: des gens qui seraient morts autrefois survivent. Ça ne résiste pas à l'analyse. D'abord, les armes aussi se sont améliorées. Et puis, le nombre de tentatives de meurtre suit à peu près la même courbe, alors qu'elle devrait augmenter suivant cette hypothèse ambulancière.

Qu'en était-il dans le bon vieux temps? Selon un criminologue canadien, dans les années 20 et 30, le taux général canadien était autour de 2, donc plus élevé que maintenant. Il a chuté dans les deux décennies suivantes, avec l'amélioration des soins médicaux et des conditions économiques, pour atteindre 1,2 (le taux québécois actuel). Et c'est dans les années 60 qu'il a explosé.

L'explication principale des criminologues est la démographie. Les crimes violents sont plus souvent commis par des jeunes hommes. Très nombreux dans les années 60-70, leur pourcentage dans la population diminue constamment.

L'Ouest: un cas à part

Cela dit, si on observe les statistiques par province, on comprend mieux certaines réalités politiques. Les provinces de l'Ouest, pour presque tous les crimes, en particulier pour les homicides, dépassent la moyenne canadienne.

L'Alberta a connu 88 meurtres en 2007 pour une population deux fois plus petite que le Québec, où il y en eut 90. Le Manitoba a un taux d'homicides quatre fois et demie plus élevé qu'au Québec. La Saskatchewan connaît presque trois fois plus de meurtres par habitant que le Québec.

On est moins étonné d'entendre un discours politique sur la sécurité publique plus musclé dans l'Ouest. Il y a une géopolitique du crime, on ne devrait pas s'en surprendre.

Idem pour les jeunes délinquants, un sujet qui fait peu de vagues ici, mais énormément dans l'Ouest.

Il n'y a pratiquement pas d'homicides commis par des mineurs au Québec. Il y en a eu quatre en 2007. Au Manitoba (province de M. Toews) pendant la même année? 33. Un taux d'homicides chez les mineurs 50 fois plus élevé! En Saskatchewan, province sept fois moins populeuse? 16 homicides commis par des mineurs.

Évidemment, cela influe sur l'opinion publique régionale, et donc sur le discours politique et l'action des tribunaux.

On pourrait ajouter que depuis presque 20 ans, le taux de vols avec une arme à feu diminue constamment. Même en isolant les vols commis avec armes, on constate que l'arme à feu est de moins en moins utilisée.

On ne peut pas vraiment parler de bonnes nouvelles. Presque 600 personnes ont été assassinées au Canada l'an dernier, et pour leurs proches, il n'y a aucune consolation à savoir que le taux d'homicides a diminué.

Mais au moins, cela donne une perspective historique plus juste: on a tort de penser que notre société est plus violente qu'au temps de nos parents, et qu'elle glisse vers une violence accrue, comme nous le suggèrent plusieurs démagogues.

LEÇON NON APPRISE - Rapport de la CSST sur la mort de la policière Valérie Gignac, de Laval: "Rien ne démontrait l'urgence d'entrer dans l'appartement", conclut l'enquêteur. C'était un an et demi avant la mort tout aussi tragique, tout aussi inutile, de l'agent Daniel Tessier.

VACANCES - Sur ce, je quitte jusqu'à la fin août. Bon été.

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