Depuis plus de 50 ans, les relations chaleureuses entre le Canada et Cuba ont toujours irrité les États-Unis, et la réaction émotive de Justin Trudeau à la mort de Fidel Castro, cette fin de semaine, n'arrangera en rien les choses, surtout pas à l'orée de l'ère Trump.

Le dicton qui veut que «les amis de mes amis soient mes amis» ne s'est jamais appliqué dans le triangle très compliqué États-Unis-Canada-Cuba. Au contraire, le Canada a toujours vu son amitié avec Cuba comme un signe d'indépendance par rapport au géant américain qui, lui, a toujours vu cette relation comme un manque de solidarité.

La mort de Fidel Castro, dans cette perspective historique, arrive à un moment très délicat, et la réaction sans nuance de Justin Trudeau à la disparition de l'«ami Castro» a fait grincer des dents aux États-Unis, mais ici aussi.

Critiqué pour une réaction à chaud sans nuance, et vraisemblablement marquée par la grande proximité de sa famille avec celle des Castro, le premier ministre Trudeau a dû corriger le tir et préciser, après que les journalistes lui eurent posé la question, que l'ex-président cubain était un dictateur. Samedi, le communiqué officiel diffusé par son bureau mentionnait seulement que Fidel Castro avait été un dirigeant «controversé».

De passage à Cuba il y a une dizaine de jours, Justin Trudeau avait abordé la question des droits de la personne du bout des lèvres, ce qui lui avait aussi valu quelques reproches. On comprend maintenant que le premier ministre, sans recevoir un bulletin de santé détaillé de Fidel Castro, avait été prévenu qu'il était trop mal pour le recevoir.

Il est toujours plus difficile de critiquer un ami et, de toute évidence, Justin Trudeau n'a pas la distance pour juger froidement l'héritage de Fidel Castro. Celui-ci était un ami de son père, Pierre Elliott, et il s'était même déplacé à Montréal, en 2000, pour ses funérailles. C'est à cette occasion, dans son éloge funèbre à son père, que Justin avait fait son premier discours public très remarqué. Fidel Castro avait réconforté le jeune Trudeau à la basilique Notre-Dame. Le président cubain avait aussi rencontré l'ancien président américain Jimmy Carter, qui avait fait une rare ouverture diplomatique en vue d'un rapprochement.

La réaction de Justin Trudeau manquait de recul, c'est certain, mais les Canadiens gardent du lider maximo une meilleure image que leurs voisins du Sud, qui aiment bien le détester pour des raisons historiques évidentes.

Les Canadiens, eux, comptent pour plus de 40% des touristes à Cuba, ce qui en fait leur troisième destination de choix. On peut reprocher la complaisance de Justin Trudeau envers Fidel, mais nous sommes nombreux, au pays, à avoir un faible pour le vieux révolutionnaire (et les plages de son pays).

Voilà d'ailleurs ce que disait Jean Chrétien du jeune Fidel Castro, au magazine Maclean's, à la fin des années 90 : «C'était un jeune homme qui s'opposait au régime Batista, ce qui faisait de lui une personne très populaire. C'était une figure romantique à l'époque. Il a été emprisonné, il a risqué sa vie pour changer la société. Moi, à l'époque, je me battais contre Duplessis, alors comme étudiant, il était une star pour nous au Québec.»

En 1998, Jean Chrétien avait effectué une visite très remarquée à La Havane, après avoir plaidé, au Chili, lors du Sommet des Amériques, pour l'inclusion de Cuba au sein de ce regroupement. Le président Bill Clinton, d'abord irrité par cette initiative, avait par la suite demandé à Jean Chrétien de soulever la question de la libération des opposants politiques à Cuba, ce qu'il avait fait sans détour, en vain, toutefois. (Pour la petite histoire, Jean Chrétien ne savait pas que Fidel Castro avait abandonné les Habanas et, par courtoisie, il avait accepté un gros cigare, duquel il avait tiré quelques touches avant de virer vert et de s'étouffer.)

Fidel Castro était venu, sans prévenir, dire au revoir à M. Chrétien jusque sur le tarmac de l'aéroport José-Marti, nous accordant du coup un énième très long point de presse. Après de longues minutes, un attaché de M. Chrétien était venu nous prévenir que si nous ne remontions pas à bord immédiatement, nous allions devoir rentrer par nos propres moyens à Ottawa!

La relation des Trudeau, et même celle de Jean Chrétien, avec Fidel Castro est singulière, mais tous les autres premiers ministres canadiens ont dû vivre avec cet ami dérangeant pour Washington.

Lors de la crise des missiles, en 1961, John Diefenbaker avait grandement indisposé le président Kennedy en refusant de mettre l'armée canadienne sur un pied de guerre. (L'état-major des Forces canadiennes avait néanmoins mobilisé des navires sans prévenir le premier ministre Diefenbaker.)

Sous Stephen Harper, le Canada a été l'hôte de rencontres secrètes entre des représentants américains et cubains entre 2013 et 2014, un rôle discret, mais central en vue d'un rapprochement.

Ce rapprochement est maintenant menacé par l'arrivée de Donald Trump. En visite à Cuba, Justin Trudeau a affirmé que le Canada ne s'alignera pas sur les politiques de repli et de protectionnisme trumpiennes.

Dans la réalité, le choix entre un partenaire avec qui on échange pour plus de 1 milliard par jour en biens et services et un autre avec qui on transige pour 1 milliard... par année, s'impose, malgré les sentiments romantiques.

Pensez seulement à la loi américaine Helms-Burton, qui dit qu'un entrepreneur étranger qui fait affaire avec Cuba peut être poursuivi et interdit d'entrée aux États-Unis.

Supposons que Trump décide de jouer la ligne dure, notamment pour renvoyer l'ascenseur aux Cubains de Floride qui ont contribué à sa victoire et aux faucons du Parti républicain...

ARCHIVES PC

Pierre Elliott et Margaret Trudeau ont rendu visite à Fidel Castro en janvier 1976.