OK, une fois la surprise du résultat d'hier soir passée, essayez d'imaginer, dans une perspective canadienne, un autre choc brutal : la première rencontre Trump-Trudeau.

Du côté nord de la frontière, un jeune premier ministre libéral, ouvertement féministe, progressiste et déterminé à lutter contre les changements climatiques et qui a mis les nouveaux accords de libre-échange au sommet de ses priorités économiques.

Au sud, un milliardaire ultraconservateur de 70 ans qui tient et a tenu des propos scandaleux sur les femmes, sur les Mexicains et sur les musulmans, en plus de s'opposer à l'ouverture des marchés et de ne pas du tout s'intéresser à la lutte contre les changements climatiques.

J'imagine Justin Trudeau, qui a fait campagne en vantant les « voies ensoleillées » de l'espoir, faire du « small talk » avec Donald Trump avant une rencontre internationale ou un tête-à-tête. J'imagine Sophie Grégoire, notre « première dame » qui a fait de l'égalité hommes-femmes son cheval de bataille, discuter cordialement avec le couple Donald et Melania...

Imaginez, en plus, les relations du président Trump avec le Canada, un pays où des militants et des politiciens ont exigé que son nom soit effacé de ses gratte-ciel à Toronto et Vancouver.

Justin Trudeau pourra, au moins, se féliciter de s'être retenu de commenter l'élection présidentielle américaine et d'avoir répété que son gouvernement travaillerait avec la personne élue par les Américains, mais il reste que les relations entre le Canada et les États-Unis viennent de frapper un mur.

Les Canadiens et les Américains ont beau être les « meilleurs voisins » et les « meilleurs amis » du monde, en plus d'être les meilleurs partenaires commerciaux du monde et de partager la plus longue frontière terrestre du monde, ils sont politiquement souvent désaccordés.

En 2000, les Canadiens réélisaient un libéral (Jean Chrétien) pendant que les Américains donnaient les clés de la Maison-Blanche à George W. Bush. En 2008, les Américains rejetaient brutalement les républicains pour élire avec enthousiasme Barack Obama, mais hier soir, nos voisins du Sud ont élu Donald Trump, un conservateur au discours nationaliste extrémiste, ouvertement raciste, sexiste et ne croyant pas aux changements climatiques causés par l'activité humaine. Tout le contraire de Justin Trudeau, élu à la tête d'un gouvernement majoritaire il y a tout juste un peu plus d'un an et qui vogue depuis sur une vague de popularité tant ici qu'à l'étranger.

Les sociétés pétrolières qui pompent le pétrole de Fort McMurray seront probablement heureuses de l'élection de Donald Trump, qui s'est engagé à autoriser le pipeline Keystone XL (du nord de l'Alberta au golfe du Mexique), mais ce gain économique à court terme pour l'économie canadienne se fera au prix d'un recul marqué des efforts contre les changements climatiques.

Sur les dossiers environnementaux (comme sur bien d'autres dossiers), Trump semble être resté accroché au XXe siècle. En plus d'être favorable au pipeline auquel s'opposent Barack Obama et Hillary Clinton, M. Trump veut accélérer les forages de gaz et de pétrole aux États-Unis, en plus d'accroître la production de charbon (oui, oui, le charbon !).

Il y a fort à parier, aussi, que l'administration Trump ne sera pas très ouverte aux politiques d'immigration du Canada, qui fait une grande place aux Maghrébins francophones.

Mais il y a pire. Donald Trump a fait campagne en dénonçant les accords de libre-échange, promettant même de renégocier l'ALENA, autre source d'irritation majeure entre Ottawa et Washington.

Quant à l'insoluble conflit du bois d'oeuvre, il n'est pas sur le point de se régler sous l'administration Trump.

On peut aussi s'inquiéter des intentions de Donald Trump dans la guerre au groupe État islamique et des demandes qu'il pourrait formuler au Canada.

Dans tous les scénarios, Clinton ou Trump, on savait déjà que la relation privilégiée entre les deux pays, sous Barack Obama et Justin Trudeau, ne durerait pas. George Bush père et Ronald Reagan et Brian Mulroney s'entendaient très bien, et sans être exceptionnels, les liens entre Bill Clinton et Jean Chrétien étaient tout de même favorables à la bonne entente. Ça s'est refroidi entre Barack Obama et Stephen Harper, mais jamais autant qu'entre Richard Nixon et Pierre Elliott Trudeau.

Entre deux maux, on préfère toujours le moindre et il n'y a aucun doute, de ce côté-ci de la frontière, qu'une présidente Hillary Clinton aurait été moins néfaste qu'un président Donald Trump.