Justin Trudeau a vanté le fédéralisme d'ouverture avant et depuis son élection, il y a bientôt un an, et il a promis de tourner le dos aux politiques du précédent gouvernement conservateur. La façon dont il a annoncé, lundi, son plan de taxation des émissions de carbone ressemble toutefois beaucoup à la méthode Harper. Avec un sourire en plus.

L'opinion publique (du moins, si on en croit les sondages) semble favorable à un tel plan et il ne se trouve plus grand monde au Canada pour dire que nous avons encore le luxe d'attendre avant de faire quelque chose de concret pour lutter contre les changements climatiques. M. Trudeau sait, par ailleurs, qu'il vaut toujours mieux lancer les grandes réformes et prendre les décisions les plus difficiles au début d'un mandat.

Justin Trudeau ne le dira pas, mais il est vraisemblablement aussi arrivé à la conclusion que le moment est propice à une telle annonce et que des années de discussions ne parviendraient pas à rallier les opposants, dont le premier ministre de la Saskatchewan, Brad Wall.

La Colombie-Britannique, l'Ontario et le Québec, qui comptent plus de 26 millions de personnes sur les 36 millions au total au pays, ont déjà amorcé leur propre plan et, ô surprise, l'Alberta est prête à embarquer. Par ailleurs, les conservateurs et les néo-démocrates sont en pleine réorganisation et leur voix porte beaucoup moins en ce moment.

De plus, même si le fédéral impose les principaux paramètres de son plan, il a eu la sagesse de laisser de la flexibilité aux provinces sur les moyens pour atteindre les objectifs. Ottawa laisse également aux provinces le fruit des taxes, qui pourraient représenter un joli magot.

Ce qui passe mal, du moins dans certaines provinces comme la Saskatchewan, Terre-Neuve-et-Labrador et la Nouvelle-Écosse, c'est la manière. Les ministres de l'Environnement des provinces ont appris les intentions du gouvernement Trudeau au moment même où ils étaient réunis lundi à Montréal avec leur homologue fédérale, Catherine McKenna, dans le but de commencer des négociations. Pas très chic, à vrai dire, ce qui a poussé les ministres des trois provinces récalcitrantes à claquer la porte.

Justin Trudeau avait pourtant promis un fédéralisme d'ouverture et de collaboration, en particulier dans la lutte contre les changements climatiques, un dossier épineux au Canada.

Voilà comment il présentait ces « négociations » dans son programme électoral : « Nous tendrons plutôt la main aux chefs des provinces et des territoires pour élaborer de réelles solutions qui respectent l'obligation universelle de protéger la planète, tout cela en stimulant notre économie. [...] Nous collaborerons pour fixer des cibles nationales de réduction des émissions, et nous veillerons à ce que les provinces et les territoires bénéficient d'un financement fédéral ciblé et de la latitude nécessaire pour élaborer leurs propres politiques, notamment sur le prix du carbone, afin que nous atteignions ces cibles. »

Lundi, M. Trudeau a tranché : les provinces collaborent au plan et elles adoptent la taxe sur le carbone d'ici 2018, sinon, on le fera nous-mêmes. La pollution ne connaît pas les frontières, dit M. Trudeau, ce pourquoi le Canada a besoin d'un plan national.

Ça se tient, mais l'environnement étant un champ de compétence partagé, il ne faudrait pas s'étonner de voir cette question se retrouver devant la Cour suprême d'ici quelques années.

D'ici là, Justin Trudeau fait le pari que son plan sera bien en place et que les électeurs partageront son sentiment quant à l'urgence d'agir.

La manière, il est vrai, n'est pas élégante, mais voici, pour la première fois, un premier ministre qui se lève aux Communes et annonce que les émissions de carbone seront dorénavant taxées, un tabou au Canada depuis toujours, du moins dans la classe politique.

Même si on est d'accord avec cette décision (c'est mon cas), son côté unilatéral rappelle le déséquilibre des pouvoirs entre Ottawa et les provinces, ces dernières étant le plus souvent traitées en subalternes. Ce que Justin Trudeau a fait lundi avec son plan de lutte contre les changements climatiques, c'est exactement ce qu'ont fait avant lui Stephen Harper, Paul Martin et Jean Chrétien pour le financement de la santé, notamment.

La détermination de Justin Trudeau à se lancer dans la lutte contre les changements climatiques est évidente, mais elle n'arrive pas à masquer toutes les contradictions de son gouvernement en matière d'environnement et de développement énergétique.

Taxer le carbone ne devrait pas être vu comme un permis d'exploitation accrue des hydrocarbures. Or le gouvernement Trudeau a donné la semaine dernière le feu vert au port de Pacific NorthWest LNG, du géant Petronas, en Colombie-Britannique, un projet de 36 milliards. Il devrait aussi autoriser un autre mégaprojet, le pipeline Kinder Morgan (1000 kilomètres et jusqu'à 900 000 barils de pétrole de l'Alberta transportés vers Vancouver et l'État de Washington), en décembre. On sait, en outre, le préjugé favorable du gouvernement Trudeau envers le projet de pipeline Énergie Est, une autre décision attendue. On critique aussi les cibles de réduction des libéraux, calquées sur celles des conservateurs.

Vrai, Justin Trudeau bénéficie d'un contexte politique favorable pour lancer sa taxe sur le carbone, ce qui lui permet de museler les opposants et d'obtenir la collaboration (intéressée) des provinces, en particulier de l'Alberta, qui attend le renvoi d'ascenseur.

Pas de nouveaux débouchés pour notre pétrole, pas de taxe sur le carbone, a clairement indiqué la première ministre de l'Alberta, Rachel Notley.

Mais au Québec et en Colombie-Britannique, sans oublier les Premières Nations de partout au pays, les projets de pipelines se butent à une forte opposition.

Annoncer une modeste taxe sur le carbone, c'était la partie la plus facile de l'affaire pour Justin Trudeau. Le reste s'annonce plus complexe.