On dit souvent qu'un sondage mené à un moment précis sur un sujet donné est une photo. Il donne l'état des lieux sur un instantané, sans plus. Plusieurs sondages étalés dans le temps donnent un film, où on décèle une tendance.

Ce que Jean-Marc Léger propose avec son livre Le code Québec, bâti sur des milliers de sondages faits sur trois décennies, c'est un scan en trois dimensions de qui nous sommes et le décryptage de l'ADN de la psyché du peuple québécois.

Ce n'est pas toujours flatteur, c'est parfois surprenant, parfois convenu, ça met devant nous un miroir qui nous renvoie notre beau grand sourire, mais aussi quelques défauts qu'on aimerait peut-être mieux ne pas voir.

Bref, Le code Québec est un outil pour mieux comprendre le Quebecis vulgaris, sans complaisance, et qui dévoile, chiffres à l'appui, nos forces, nos faiblesses, nos failles et nos qualités.

Parler avec Jean-Marc Léger est une expérience fascinante : ce gars-là a une réponse à toutes les questions touchant le comportement des Québécois. Par exemple, pourquoi les Québécois ont-ils voté à presque 50-50 au référendum de 1995 ?

- Parce que c'était une question très chargée émotivement et qu'ils ont peur de trancher, parce qu'ils sont détachés. Ce résultat les satisfaisait : ce n'était pas l'indépendance et c'était juste assez proche pour passer un message.

Autre exemple : comment expliquer le « mystère de Québec » ?

- Il n'y a pas de mystère de Québec. C'est nous, de Montréal, qui percevons un mystère. C'est juste que les gens de Québec sont plus Français que les Français, et très républicains, donc très attachés à leurs valeurs. Ce sont aussi des conservateurs qui se rebellent et réclament des changements.

Tiens, une autre : les Québécois sont-ils racistes ?

- Non, pas plus que les autres. Ils ont peur de la religion lorsqu'elle s'exprime publiquement, surtout si elle leur est étrangère. Les Québécois ont longtemps été sous le joug de l'Église et ils ne veulent pas retourner là-dedans.

Et pourquoi pas une dernière : quelle est la principale caractéristique des Québécois ?

- Ils aiment avoir du plaisir, ils vivent le moment présent. Les Québécois ne sont pas des Français qui vivent en Amérique, ce sont des Américains qui parlent français. Ce sont des Français modestes, des Anglais enjoués et des Américains pacifiques.

On pourrait aussi dire, après avoir lu Le code Québec, que les Québécois sont insouciants, un brin renfermés et peureux, mais aussi heureux, débrouillards, fiers et inventifs.

On apprend aussi des choses surprenantes dans ce livre, comme le fait qu'un taux d'imposition élevé contribue au bonheur collectif parce qu'il permet d'avoir de meilleurs services sociaux. C'est le cas au Québec, mais aussi en Suisse, en Finlande, au Danemark et en Norvège, les pays champions de l'indice du bonheur, selon l'ONU. Les conservateurs et autres libertariens auront sans doute une furieuse envie de brûler ce livre hérétique !

Jean-Marc Léger conclut aussi que la seule fois que les Québécois ont répondu Oui dans un référendum, c'était en 1919, lors de la consultation sur la fin de la prohibition. Les quatre autres fois (conscription en 1942, souveraineté en 1980 et 1995, Charlottetown en 1992), la réponse a été Non. « En somme, écrit M. Léger, la seule fois que le Québec a dit Oui, c'est quand on lui a proposé la fête et le plaisir. »

« Il n'y a pas grand-chose que je n'ai pas sondé dans la vie, dit Jean-Marc Léger en entrevue dans ses grands bureaux du Vieux-Montréal. C'est dangereux de parler avec un sondeur parce qu'il sait tout de vous ! »

Pour Le code Québec, Jean-Marc Léger a cumulé des données amassées depuis près de 30 ans (la firme Léger a été créée en 1986), mais il a aussi mené des sondages spécifiques encore récemment pour enrichir sa recherche sur l'identité québécoise. Il a aussi soumis ses conclusions à des tests pour contre-vérifier ses découvertes et il s'est adjoint les services du professeur Jacques Nantel et du journaliste Pierre Duhamel.

On n'est pas ici dans le « je pense que », mais bien dans le « mes recherches m'amènent à telle conclusion ». Tout est chiffré, au point pourcentage près. Jean-Marc Léger estime avoir « investi » au moins 150 000 $ au fil des années dans ce projet (évidemment, c'est plus facile lorsqu'on est propriétaire de la plus grande maison de sondage du Québec !).

Paradoxalement, le défi de Jean-Marc Léger était de « mettre le moins de chiffres possible », dit-il, de crainte de rendre le livre illisible et beaucoup trop académique. C'est pour cela que le lecteur trouvera dans ce bouquin des témoignages d'une trentaine de leaders du Québec, dont Julie Snyder, Alain Bouchard et Daniel Lamarre, mais aussi Geoff Molson, Gilbert Rozon et Alexandre Taillefer.

La démarche rappelle celle de feu Jacques Bouchard, surnommé le « père de la publicité au Québec », qui avait publié en 1978 Les 36 cordes sensibles des Québécois d'après leurs six racines vitales.

La démarche de M. Bouchard était intuitive ; celle de Jean-Marc Léger est scientifique. Elle mesure les différences entre les Québécois et les Canadiens des autres provinces, mais aussi entre Québécois francophones et anglophones et même entre les régions et entre Montréal et le reste de la province.

Le code Québec repose sur sept facteurs de différenciation qui caractérisent les Québécois : heureux, consensuel, détaché, victime, villageois, créatif et fier. Ces chapitres sont accompagnés des mots caractéristiques et de réponses à des questions de sondage qui permettent de dégager le contour de l'identité québécoise.

Le tableau (ça s'appelle la « carte perceptuelle mathématique »), en fin d'ouvrage, qui détaille les mots les plus significatifs chez les Québécois francophones et chez les Canadiens anglais, est tout simplement fascinant, comme dirait Charles Tisseyre.

Du côté franco, apparaissent les mots charnel, sexe, joie de vivre, caresse, sensuel, attachement, fierté, rêver, entre autres. Chez les Anglos, dans l'autre cadran, les mots angoisse, trahir, mort, méfiance, désordre, fermeté, sacrifice détonnent vraiment.

De ses sept caractéristiques, toutes liées les unes aux autres, Le code Québec tire des conclusions sur trois générations : La « génération silencieuse » (née avant 1945) est faite de gens villageois et consensuels ; la suivante, les baby-boomers, regroupe les détachés et les créatifs ; et les plus jeunes, qui forment la génération des milléniaux, sont victimes et fiers. Désolé pour les X, dit Jean-Marc Léger, cette génération « n'a pas une forte personnalité et aura eu peu d'influence sur les valeurs québécoises ». Ouch, ça fait mal, ça !

On pourrait croire que Jean-Marc Léger méprise les jeunes (les milléniaux), dont il dit : « Ce sont des enfants rois qui sont devenus les consommateurs rois et qui se transforment maintenant en citoyens rois, jamais satisfaits mais à qui rien ne résiste », mais au contraire, il est plutôt admiratif.

« C'est une génération gagnante, plus ambitieuse, plus entrepreneuriale, plus bilingue et pour qui faire de l'argent n'est plus un péché. C'est aussi une génération plus égalitaire, plus écoresponsable et sans frontières. »

Ce sont aussi ces jeunes qui vont « brasser le Québec » par leur rejet de la politique, avance M. Léger. « Ce qu'on voit aux États-Unis, le rejet de la politique, on le verra aussi ici dans quelques années », dit-il.

Et après avoir étudié les Québécois de l'intérieur, sous toutes leurs coutures, Jean-Marc Léger les aime-t-il plus ou moins ?

« Je les aime autant, mais je les comprends plus, dit-il. Et j'aime davantage la jeune génération décomplexée, plus exigeante, plus entrepreneuriale et à qui rien ne résiste. »

Le code Québec, Jean-Marc Léger, Jacques Nantel et Pierre Duhamel, Éditions de l'Homme, Parution le 26 septembre 2016, 24,95 $

PHOTO TIRÉE D’INTERNET

Le code Québec, de Jean-Marc Léger, Jacques Nantel et Pierre Duhamel