La chose est historique, rien de moins : six mois après avoir formé le Conseil des ministres de son gouvernement majoritaire, Justin Trudeau récolte des intentions de vote records (51 %) au Québec, mieux que ne l'a fait son père en pleine Trudeaumanie, et il jouit d'un taux de satisfaction de 67 % auprès de l'électorat, soit près de deux fois le score obtenu par son cousin libéral à Québec, Philippe Couillard.

La gestion de la première véritable crise de l'ère Trudeau, les incendies de forêt dévastateurs de Fort McMurray, ne nuira certainement pas à la cote de popularité du jeune premier ministre. Celui-ci devrait faire laminer les sondages actuels, question de se remonter le moral le jour où, immanquablement, la lune de miel se sera étiolée.

Chose certaine, M. Trudeau semble profiter, avec délectation, de sa bonne étoile. Le contraste était frappant, lundi : pendant que le Québec apprenait avec stupéfaction la démission de Pierre Karl Péladeau, Justin Trudeau, lui, vantait la tenue des Jeux Invictus (pour soldats et anciens combattants blessés) à Toronto l'an prochain en faisant des pompes à un seul bras avec des membres de la délégation canadienne.

Justin Trudeau nage en plein bonheur avec l'électorat, c'est l'évidence, mais tout ne baigne pas, pourtant. On commence à voir, en cette fin de session parlementaire à Ottawa, les premières fissures dans le blindage en téflon des libéraux fédéraux.

L'exemple le plus frappant est sans aucun doute la précipitation pour adopter le projet de loi sur l'aide médicale à mourir, que les anglophones appellent tout simplement « the dying bill » (peut-être est-ce prémonitoire par rapport à ce qui attend ce projet de loi controversé !).

Pondu en vitesse par le nouveau gouvernement libéral pour respecter la date butoir du 6 juin fixée l'an dernier par la Cour suprême, ce projet de loi est rejeté par la frange orthodoxe du Parti conservateur parce qu'il va trop loin, mais aussi par les libéraux (philosophiquement), qui pensent exactement le contraire.

Au départ, Justin Trudeau avait indiqué qu'il imposerait la ligne de parti pour le vote sur ce projet de loi, une position qu'il a par la suite adoucie, permettant aux simples députés de voter selon leur conscience (les ministres, eux, sont tenus de voter avec le gouvernement).

Nouvel épisode : le gouvernement libéral a décidé de limiter de façon draconienne le temps de débat autour du projet de loi (une vingtaine d'heures, maximum), ce qui a fait bondir les partis de l'opposition.

Le gouvernement Trudeau, qui dit s'être inspiré de la Loi concernant les soins de fin de vie adoptée au Québec pour pondre la sienne, devrait pourtant savoir qu'on n'adopte pas ce genre de loi dans la division, et surtout pas en bulldozant les opposants.

L'excuse de la date butoir de la Cour suprême ne tient pas : on peut très bien vivre pendant quelques mois dans un vide juridique, le temps de faire un véritable débat.

L'ironie de la chose, c'est qu'on passera plus de temps, à Ottawa, à débattre de la meilleure façon de livrer le courrier au pays qu'on veut, apparemment, en passer à établir le cadre légal de l'aide médicale à mourir.

En effet, le gouvernement Trudeau a annoncé la semaine dernière la création d'un comité pour étudier l'avenir de Postes Canada, une promesse faite par les libéraux l'automne dernier.

Comités, études, analyses sont souvent des synonymes d'« on gagne du temps avant de renier une promesse », et c'est effectivement l'impression qu'on a dans ce dossier. En campagne électorale, le chef libéral avait promis d'annuler la décision « inacceptable » des conservateurs de mettre fin à la livraison du courrier à domicile. Le programme politique prévoyait toutefois de « procéder à un nouvel examen des activités de Postes Canada pour nous assurer que des services de qualité à un prix raisonnable sont offerts aux Canadiens partout au pays », passage vague qui n'a pas retenu l'attention autant que la promesse de rétablir la livraison porte à porte.

Ce genre d'engagement électoral permet à un parti politique de zigzaguer, mais pour la transparence, on repassera.

Autre promesse formelle des libéraux mise à mal aujourd'hui : ne jamais utiliser de loi omnibus pour faire passer le budget, contrairement au gouvernement conservateur de Stephen Harper, qui se servait de ces projets de loi « mammouth » pour faire passer en douce des modifications législatives controversées.

Le gouvernement Trudeau vient de déposer un projet de loi omnibus de 179 pages qui renferme 237 dispositions touchant 35 lois et règlements. On est loin d'un simple projet de loi de mise en oeuvre du budget.

Enfin, autre engagement qui est en train de virer en eau de vaisselle : la réforme du Sénat, que Justin Trudeau voulait indépendant du gouvernement et libre de partisanerie.

Dans les faits, très peu de choses ont changé à la Chambre haute. Officiellement, les sénateurs libéraux sont indépendants et ne sont plus admis au caucus des députés. Ils sont aussi nommés à partir d'une liste « neutre », et non pas selon le bon vieux système de récompense pour les amis du parti, de faveur à des candidats battus et de retour d'ascenseur aux organisateurs.

En réalité, la structure des sénateurs « indépendants-libéraux » ressemble beaucoup à celle qui existait auparavant, et c'est toujours le premier ministre qui décide, seul, qui aura le privilège de siéger au Sénat.

Pour le moment, en cette pleine lune de miel, on s'offusque peu de ces promesses brisées ou tronquées, mais au-delà de l'image, ce gouvernement devra un jour passer le test de la réalité.