L'arrestation, il y a deux semaines, de l'ex-vice-première ministre libérale Nathalie Normandeau a fait remonter à la surface de notre mémoire collective l'affaire des ministres à 100 000 $, c'est-à-dire la cible de financement annuelle qui était implicitement imposée aux ministres du gouvernement de Jean Charest.

Eh bien, quand on se compare, on se console : le quotidien Toronto Star nous a appris cette semaine que les ministres du gouvernement libéral de Kathleen Wynne ont, eux, des « objectifs » de financement beaucoup plus ambitieux, soit de 150 000 à 500 000 $ par année.

Grosse histoire, qui s'est retrouvée, au Québec, dans l'ombre de la tragédie des Îles-de-la-Madeleine, mais qui mérite qu'on s'y arrête. Jean Lapierre, qui est retourné au Parti libéral du Canada au moment où le scandale des commandites frappait de plein fouet, aurait lui-même adoré commenter ce sujet.

Il y a beaucoup à dire, en effet. Je savais que toutes les provinces n'étaient pas égales en matière de financement des partis politiques, mais les révélations du Toronto Star sur le système ontarien, qualifié de « wild west » du financement politique par le quotidien, m'ont tout de même étonné. Que des entreprises puissent encore, en 2016, donner aussi généreusement aux partis politiques et qu'elles puissent, avec la bénédiction du parti au pouvoir, s'acheter un accès privilégié aux ministres les plus influents est renversant.

Le fait, aussi, que l'Ontario, comme les autres provinces, se soit moqué de la corruption endémique au Québec nous laisse croire que nos voisins auraient peut-être intérêt à faire le ménage chez eux avant de passer des commentaires sur la couleur douteuse de nos tapis.

En Ontario, les entreprises et les syndicats peuvent donner des dizaines de milliers de dollars aux partis : 10 000 $ par année aux partis, plus 10 000 $ en année électorale ; 6000 $ par association de circonscription et 6000 $ aux candidats locaux en année électorale. Et encore, la loi ontarienne est pleine de trous, ce qui ouvre toute grande la porte à des abus.

Les dons d'entreprises ou syndicaux sont interdits au Québec depuis 40 ans et au fédéral depuis plus de 10 ans. Au Québec, les dons sont plafonnés à 100 $ par année ; au fédéral, c'est 1500 $.

Selon les chiffres non officiels dévoilés par le Star, les ministres du gouvernement Wynne ne se privent pas de cette manne et le monnayage de l'accès aux élus est encouragé et ouvertement pratiqué.

Prenez le ministre de la Santé et des Soins de longue durée, Eric Hoskins, par exemple. Ce populaire ministre aux airs de Harrison Ford plus jeune a récemment participé à une activité de financement avec l'Association ontarienne des soins de longue durée (ça ne s'invente pas !) à qui on promettait, en échange de dons substantiels, du « temps de qualité » avec le ministre.

Lorsqu'elle était ministre de la Santé dans le gouvernement Landry, Pauline Marois s'était fait reprocher, à juste titre, une rencontre privée avec des représentants des grandes sociétés pharmaceutiques. C'est ce qu'on appelle le « financement sectoriel », une pratique aussi répandue sous le gouvernement Charest, notamment auprès des firmes de génie.

Comme les entreprises ne peuvent pas donner aux partis politiques au Québec, c'est par le stratagème des prête-noms que les firmes faisaient des dons.

La pratique a été documentée et fortement dénoncée par Amir Khadir il y a quelques années. Le député de Québec solidaire ne saurait plus où donner de la tête en Ontario tellement cette pratique est courante.

Le ministre de l'Énergie Bob Chiarelli, notamment, avait récolté en une seule soirée de 2013 plus de 100 000 $ dans une activité de financement en présence de Kathleen Wynne, avec des représentants de l'entreprise... Bruce Power.

Des entreprises et des syndicats directement touchés par les décisions de Queen's Park arrosent généreusement le parti au pouvoir. C'est le cas, entre autres, des fameux Beer Stores et de leurs syndicats affiliés, qui ont donné 275 000 $ en 2013-2014 au Parti libéral de l'Ontario.

Le ministre des Finances Charles Sousa, qui a été haut dirigeant de la Banque Royale avant de se lancer en politique, et qui compte de précieuses relations dans le milieu de la haute finance, a lui aussi un « objectif » de financement ambitieux : 500 000 $ par année.

Son prédécesseur aux Finances, Dwight Duncan, aujourd'hui à la retraite, a déclaré au Toronto Star que la pression mise sur les ministres pour qu'ils collectent autant d'argent était une raison de son retrait de la vie politique. « J'en avais vraiment marre, a-t-il dit, précisant qu'il devait ramasser 1 million entre les élections générales. « Les gens veulent rencontrer le ministre de Finances et ils sont prêts à payer pour le rencontrer, a-t-il ajouté. C'est un mauvais système. »

La première ministre Wynne, elle, défend ce système, pourtant réputé poreux et éthiquement douteux. « Il faut de l'argent pour faire fonctionner la démocratie », a-t-elle déclaré encore récemment.

Mme Wynne sent toutefois la soupe chaude et a promis cette semaine des modifications aux règles de financement pour bientôt. L'Ontario part de loin. Et en attendant ces modifications, les libéraux continuent de profiter des largesses du système.

Jeudi, lors de leur soirée de financement « Heritage Dinner », ils ont amassé 3 millions, notamment en vendant des « Victory tables » à 18 000 $ (ça non plus, ça ne s'invente pas).

Les libéraux ontariens peuvent se consoler du fait que cinq autres provinces permettent toujours les dons d'entreprises et des syndicats (la Colombie-Britannique, la Saskatchewan, le Nouveau-Brunswick, Terre-Neuve et l'Île-du-Prince-Édouard), mais leurs cousins fédéraux, avec qui ils entretiennent des liens organiques, devraient se tenir loin de ce genre de méthodes qui, il n'y a pas si longtemps, ont causé leur perte.